» Chapitre 73 : DANGER «

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- Linn.

   Il répète mon prénom comme s'il y existait, une chance aussi infime soit-elle, que je ne l'ai pas entendu m'appeler alors qu'il ne se tient pas à cinq mètres de là. Comme s'il existait une chance que je puisse un jour ne pas avoir une grande alarme DANGER qui s'illumine dans ma tête en entendant cette voix.

   Je me retourne. Je ne sais pas pourquoi, mais je me retourne.

   Il est là. Harrison est là, en chair et en os.

   C'est à cet instant que je réalise que tout ce temps, je n'ai jamais sérieusement cru à sa mort. Parce que... parce que les cafards de son genre ne meurent pas. Parce que je sais que Tommy ne l'aurait pas tué, parce que Thomas Shelby me connaît assez bien pour savoir que peu importe ce qu'Harrison m'a fait, je ne suis pas pour la peine de mort.

   Et à cet instant, je regrette d'être aussi pacifiste.

- Harrison, dis-je en sentant que je suis en train d'enfoncer mes ongles dans mes paumes. Je t'en serais très redevable si, dans l'optique terriblement tragique dans laquelle nous devions nous croiser un jour quelque part, tu fasses comme si de rien n'était, tu continue ton chemin et surtout, tu ne prononces pas mon joli prénom avec ta... bouche. Merci. Au revoir. A jamais.

   Sur ce, je me retourne et m'apprête à pousser la porte battante menant aux toilettes des femmes, mais il m'en empêche en franchissant en une demi-seconde les cinq mètres qui nous séparaient pour venir s'interposer entre moi et la porte.

- Si tu savais tout ce qu'ils m'ont fait à cause de toi..., grince-t-il entre ses dents à l'instant même où c'est moi qui me suis éloignée de lui. Le Shelby, ta mère...

   Rien que tu n'aies pas mérité. J'ai envie de lui cracher cette phrase à la figure, mais cela ne servirait qu'à augmenter le temps passé en sa compagnie. Tant pis pour les toilettes, on s'arrêtera plus tard sur une aire d'autoroute.

   Je fais demi-tour pour me diriger vers le portique tournant pour sortir. Je dois prendre sur moi pour ne pas partir en courant. A chaque pas que je fais, j'entends mon cœur résonner dans mes oreilles, un bruit fond en rythme avec mes pas. Six mètres, quatre mètres, trois mètres, deux, un...

- Linn, attends. (Son ton sonne moins agressif qu'avant.) Sérieusement - attends, Linn, je...

- ... n'en ai rien à faire, dis-je en passant le tourniquet. Adieu.

- Je suis désolé, je sais que j'ai fait de la merde.

   Et je m'arrête. Et je m'arrête, mon Dieu! Cruche, je suis complètement, absolument, irrécupérablement...

- Je suis désolé, répète-t-il en s'approchant de la sortie.

   Il s'approche de la sortie, mais pas du tourniquet pour sortir. Il sait exactement ce qu'il fait - Seigneur, il sait exactement ce qu'il fait. Il se place stratégiquement derrière la sorte de demi-barrière qui ne s'ouvre pas parce qu'il sait comment je fonctionne - il le sait parce qu'on s'est déjà retrouvés dans des situations comme ça un milliard de fois.

   Moi qui essaye de partir, lui qui prétend être désolé. Au lieu de tenter de me rattraper, il me laisse de l'espace et se place généralement de l'autre côté de quelque chose qui me donne l'illusion que suis moins en danger parce que si nécessaire, je pourrais partir plus facilement.

   D'habitude, c'était un canapé. Le comptoir de bar du Marquis de Lorne. Maintenant, c'est cette barrière.

   Regarde Linn, je ne suis pas dangereux. Si j'étais dangereux, si j'étais mal intentionné, je ne te laisserai pas de l'espace comme ça. 

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant