» Chapitre Trente-Huit : Upper East Side «

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Il ne sait pas ce qui se serait passé si Rivka n'avait pas appelé Linn à cet instant précis.

Non, en réalité, il connait la réponse à cette question : il lui aurait tout dit. Du début à la fin, mêmes les parties les plus sombres de l'histoire.

Pas dans l'espoir qu'elle lui donne une deuxième chance - il sait qu'il n'en mérite pas et Linn a certainement mieux à faire de toute façon. Même si...

Il est amèrement conscient de la partie de lui qui n'arrive pas à démordre de cette possibilité. De l'infime chance qu'il existe quelque part un avenir pour eux deux. Il sait que ce n'est pas réaliste, mais il ne peut pas s'en empêcher. C'est comme quand il était gamin et qu'il lisait ces «Livres dont vous êtes le héros», où, à chaque fin de chapitre, il fallait choisir si l'on allait suivre le chemin sinueux à travers la forêt ou si l'on préférait tenter sa chance en direction des montagnes.

Ils lisaient souvent ce genre de livres à deux, avec son frère - cachés sous une couverture avec une lampe de poche dynamo qui faisait un bruit monstre quand il fallait tourner le manche pour la recharger, bien longtemps après l'heure d'éteindre la lumière. Quand il était clair qu'ils n'allaient pas s'en sortir vivant dans l'histoire, Michael était du genre à préférer recommencer dès le début - le dragon les a découvert, à quoi bon lire la fin de l'histoire pour rien?. Mais Samuel, lui, tenait toujours à arriver jusqu'au moment où était écrit quelque chose de l'ordre du «Oh non, le dragon t'a repéré et tu fais partie de son repas du soir... Tu n'as pas réussi à voler le saphir du magicien, dommage! Mais pas de panique, recommence le voyage en faisant de choix plus avisés cette fois-ci! Allez, qu'attends-tu? Le destin du royaume repose sur tes épaules...».

Michael n'a aucun souvenir de fois où la persévérance de Samuel les aurait sauvés d'affaire. Généralement, quand la situation avait l'air trop compliquée, c'était la fin, point barre.

Mais là, dans la vraie vie...

Tout est différent. Il sait que le dragon est là, mais il n'arrive pas à fermer le livre.

- Michael? Si tu pouvais juste une fois arrêter de penser au travail tout le temps et m'écouter quand je parle, juste une fois, ça serait très apprécié.

- J'écoute, Gina, j'écoute, répond-il vaguement en regardant par la fenêtre.

- Non, tu n'écoutes pas. Tu...

- Il a mangé tout un petit pot de purée de carottes hier à 15h, dit-il en s'adossant contre le rebord de la fenêtre. J'écoute.

Gina soupire et croise les jambes sur sa chaise.

Michael n'avait pas prévu de revenir à New York avant-hier soir avec le premier vol direct depuis Londres. Et encore moins de se retrouver dans le tout nouvel appartement de Gina, au beau milieu d'Upper East Side.

Depuis que Gina va mieux et n'a plus besoin d'aide systématique pour s'occuper d'Elio, Michael n'était pas revenu en Amérique pour revoir son fils. De temps en temps, Gina lui envoie des photos d'Elio, mais c'est surtout la nourrice Claire qui le tient informé sur le bébé.

En général, Michael se contente de répondre par un «Bien reçu, merci» aux longs pavés de Claire dans lesquels elle raconte en détail les journées d'Elio. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'en a rien à faire, bien au contraire. Dans un journal - un beau modèle relié en cuir qu'il a choisi pour l'occasion -, il note de temps en temps les anecdotes particulièrement marquantes que lui raconte Claire et laisse de l'espace pour coller des photos quand il en aura imprimés.

Si on lui avait un jour dit qu'il se retrouverait à faire un atelier scrapbooking au moins une fois par semaine... Mais il tient à ce qu'Elio puisse, dans le futur, avoir une trace de ses premières années. Qu'il puisse savoir qu'à cinq mois, il aimait la purée de carottes, mais pas celle aux haricots verts.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant