» Chapitre Dix-Huit : Beaucoup plus joyeux «

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- C'est donc comme ça que j'apprends que je vais être grand-mère? A travers cette chauffeuse de taxi, Meghan je crois, qui me dit à la fin du trajet «félicitations pour votre futur petit-enfant?».

Polly lance son petit sac à main sur le canapé et se dirige vers la fenêtre. Elle ouvre une vitre d'une main, tout en allumant une cigarette de l'autre.

Michael est assis au bord d'un des grands canapés verts du salon à Arrow House. Il avait demandé à sa mère de le retrouver aujourd'hui pour parler de choses diverses et variées, dont la grossesse de Gina faisait partie. Ce n'était pas censé se passer comme ça, mais peu de choses se déroulent comme prévu ces temps de toute façon.

Rien ne se passe comme prévu. Rien.

- Je suis désolé, maman, dit-il néanmoins en commençant le discours qu'il avait préparé dans sa tête. Je ne pensais pas que Gina allait mettre ce genre d'informations sur Instagram avant qu'on ait le temps d'informer nos familles respectives.

- Oh, c'est maman maintenant?

- Maman, insiste-t-il. Je suis désolée que...

- Tu es désolé pour beaucoup de choses en ce moment, Michael. Mais jusqu'à présent, je ne te vois pas remuer ciel et terre pour tenter de remettre quoi que ce soit en ordre. Les 28 milliards, tu as commencé à les récolter? Oui? Non?

Il ferme les yeux une demi-seconde ; pas tant pour faire comme si Polly n'était pas là que pour avoir l'illusion pendant un instant d'être loin d'ici, loin de toute cette situation merdique.

Et quelle situation merdique.

- C'est en cours, répond-il vaguement.

Polly expire une bouffée de fumée par la fenêtre. Il aimerait pouvoir lui dire. Il aimerait pouvoir leur dire. Mais il ne peut pas. Pas encore, a t-il envie d'ajouter, mais il sait que le point où il est est proche du non retour.

Peut-être que c'est mieux comme ça. Peut-être que tout est exactement comme c'est censé se passer, et que Linn et lui n'étaient que quelques chapitres d'une histoire plus grande.

- Un bébé, alors? commence Polly sur un ton plus calme. Dieu, j'aurais dû me douter que cette histoire de mariage ne tombait pas du ciel. Tu n'es pas du genre à te marier, fils, j'aurais dû voir les signes. Si déjà avec Linn il n'a jamais été question de ça, je vois pas pourquoi le sujet serait plus d'actualité avec Gina, mais tout prend sens maintenant. Depuis quand?

- Quatre mois.

Sa mère hoche la tête, puis se pose une main sur le bas du visage. Elle va pleurer.

Michael essaye de se concentrer sur sa respiration pour ne pas craquer. Pas maintenant, pas après tout ce qu'il a fait, pas après tout ce qu'il a perdu.

- Oh, Michael... un bébé... Vous allez habiter à New York, je suppose? Est-ce que vous passerez ici, de temps en temps? Je ne connais pas beaucoup Gina, mais tu penses qu'elle accepterait que je garde le petit parfois pendant les vacances? A ton avis, elle...

Arrête, maman. Arrête.

Michael se lève un peu brusquement et essaye d'afficher un sourire de façade.

- Je n'en doute pas, dit-il un peu rapidement en sortant son portable. Il faut que j'y aille, je t'enverrai un message.

Et sur ce, il sort du salon avant que Polly n'ait le temps d'ajouter quelque chose.

Il faut qu'il respire. Ce n'est pas le moment. Pas le moment. S'il avait été une seconde de plus dans la pièce, il aurait probablement tout raconté et tout aurait été pour rien. Tous les sacrifices n'ont pas été faits pour rien ; l'inverse est tout simplement impossible.

Sa mère le connaît assez pour savoir que lui courir après n'aboutirait à rien et il la remercie mentalement pour cela. Il sort d'Arrow House et s'adosse contre le mur en pierre, une cigarette déjà à la main.

Tandis qu'il l'allume avec son briquet, il voit au loin Curly en train de marcher à côté d'un cheval bai qu'il ne reconnait pas. Curly lui fait un grand signe du bras, ce à quoi Michael répond par un hochement de tête. Au moins, le palefrenier n'a pas l'air de lui en vouloir. Au moins un. Il les regarde s'éloigner, jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans les écuries.

Un bébé.

Quand Gina lui a annoncé, il ne l'a pas crue. Dans quelques mois, il y aura un petit être humain dont l'ADN sera à moitié composé de celui de sa fiancée, et à moitié du sien. Il essaye de s'imaginer à quoi pourrait ressembler le mélange, mais n'y arrive pas.

Au moins, Gina est contente. Hier, elle était tellement euphorique qu'elle a voulu aller au magasin de maternité situé dans le centre commercial de Birmingham et même s'il aurait préféré qu'elle évite de traîner dans la ville, il n'a pas voulu l'en empêcher. Elle est rentrée à l'hôtel avec un cabas plein de vêtements pour bébé et a passé la soirée à tous les présenter un par un à Michael, qui l'écoutait d'une oreille plus ou moins attentive.

Au moins, elle est contente. Peut-être que ce mariage n'était pas une terrible erreur, après tout. Peut-être qu'une fois qu'ils auront un enfant, les choses changeront et...

Tout à coup, il revient à la réalité en entendant des pas s'approcher. Il prend une bouffée de sa cigarette qui s'est déjà bien consumée et espère que ce n'est pas Polly qui a finalement changé d'avis et...

- Oh, dit Linn à l'instant même où il l'aperçoit.

Elle était en train de sortir du manoir, sa veste noire et son sac à main entrouvert rempli de dossiers lui faisant comprendre qu'elle était certainement sur le point de rentrer chez elle. Chez Harrison.

Oh en effet. Il hoche la tête un coup.

Il continue de fumer sa cigarette tout en fixant l'horizon, parce que c'est plus simple que de la regarder.

- Félicitations pour le bébé, ajoute-t-elle rapidement comme si elle avait passé les derniers instants à réfléchir si elle devait prononcer cette phrase ou non. C'est... bien. Peut-être que quand tu auras un enfant, tu trouveras quelque part dans ton cœur la force d'augmenter un peu tes donations de 25£ par mois pour les orphelinats, mais... non, j'ai rien dit. C'est bien.

Il essaye de s'en empêcher, mais n'arrive pas à retenir le sourire en coin qui lui tiraille le coin des lèvres. Au moins, elle ne perd pas le nord.

- Mets deux zéros derrière les 25£ à partir du mois prochain, dit-il en éteignant sa cigarette dans un cendrier posé sur le rebord de la fenêtre derrière lui.

Linn hausse perplexement un sourcil, comme si elle ne savait pas s'il est sérieux ou non. Ou si elle était en train de se demander pourquoi ça lui aura pris combien de temps pour enfin...

- D'accord, commente-t-elle, donc en fait tu attends d'être endetté de plusieurs milliards avant de commencer à t'engager dans des activités caritatives? Ecoute, pourquoi pas... La paternité te réussit, au moins.

Elle a prononcé cette dernière phrase avec une teinte d'amertume si subtile qu'il aurait tout aussi bien pu se l'être imaginée.

- Je suis passé aux écuries avant, pour voir Monaghan Boy, intervient-il en changeant le sujet. Curly m'a dit que Monaghan Boy était, je cite, beaucoup plus joyeux depuis que c'est madame Linn qui s'en occupe, fin de citation.

- C'est vrai? Je crois que c'est surtout parce qu'il a des nouveaux voisins de box, une jument que Finn a achetée et son poulain et Monaghan Boy adore le petit. Même quand ils sont au pré, lui et Jupiter - le poulain -, ils sont tout le temps collés ensemble, à marcher l'un après l'autre ou à jouer à la guerre parfois. Bon par contre parfois j'ai un peu peur que Monaghan y aille un peu fort - il comprend pas trop que Jupiter est deux fois moins fort que lui, mais je me dis que s'ils étaient dans la nature dans un troupeau ça serait pareil et...

Elle s'arrête brusquement et il comprend qu'elle n'avait pas particulièrement prévu de faire la conversation comme ça. Vas-y, a t-il envie de l'encourager, parle moi des chevaux, du travail, de la politique ou de toi, je m'en fiche. Juste parle.

Mais elle n'en fait rien et commence à pianoter sur son portable. C'est au moment où il voit une voiture arriver au loin qu'il comprend qu'elle était simplement en train d'attendre son taxi pour rentrer. Chez Harrison.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant