» Chapitre 74 : Restaurant self en bord d'autoroute «

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   Une semaine s'est écoulée, puis une autre et encore une autre. 

   L'avantage, quand on décide de se marier dans une petite mairie au milieu de nulle part, c'est que la liste d'attente pour la salle n'est pas longue, pour ne pas dire inexistante. Quand Michael et moi avions entrepris de contacter la mairie de Mobberley il y a environ un mois de ça - c'était un vendredi après-midi et nous n'arrêtions pas de répéter l'un après l'autre «mon Dieu, c'est vraiment en train de se passer, on va vraiment se marier» avec des sourires tellement niais qu'Isiah aurait certainement fait un geste peu éloquent mimant l'action de vomir s'il nous avait vu et...

   Oui, quand Michael et moi avions entrepris de contacter la mairie de Mobberley, c'était tout un périple. Le seul site qu'on a trouvé, c'était celui de la paroisse du village - un site à la charte graphique extrêmement moderne, avec un «Mobberley» géant en Comic Sans MS bleu et gris qui se tourne sur lui même. Etant donné que cette page web a été pour la dernière fois mis à jour le 16 avril 2014, on a un peu douté en appelant le numéro qui s'affichait, mais une gentille dame a décroché au bout de la deuxième sonnerie. On l'a mise sur haut parleur et Michael lui a dit qu'on essayait de contacter la mairie pour un mariage et la pauvre dame a eu l'air complètement déboussolée par cet événement - «à Mobberley, vous êtes sûrs? La dernière fois qu'une cérémonie civile a eu lieu à la mairie, Margaret Thatcher était encore Première Ministre» -, mais a finalement accepté de transmettre le numéro de Michael à Rebecca Davidson, madame la maire.

   La date a été fixée au 14 novembre.

   Dans exactement 8 jours.

   Huit jours. 

   192 heures.

- 189 heures et 27 minutes, me corrige Michael.

   Je resserre mon étreinte autour de sa taille et colle ma joue contre le dos de son épaule. Son t-shirt sent la lessive à la noix de coco - depuis quelques temps, dès que c'est Michael qui fait les courses, tout ce qui peut possiblement exister en parfum noix de coco est acheté en parfum noix de coco. Lorsque je lui ai demandé en plaisantant s'il y avait eu quelque part dans le monde une surproduction de noix de coco et que maintenant, il n'y a plus que ça dans les supermarchés, Michael m'a dévisagé d'un air un peu perdu en me disant qu'il pensait que j'aimais particulièrement bien la noix de coco puisque ça faisait deux flacons de shampoing de suite que c'était le même à la noix de coco alors que d'habitude je change de parfum à chaque fois.

   Donc maintenant, c'est noix de coco en lessive, en savon, en gel douche, en produit pour nettoyer les vitres, en produit pour nettoyer le sol. 

   Et j'aime beaucoup. Pas particulièrement la noix de coco - Michael.

- Est-ce que tu arrives à y croire? je demande à voix basse sans le lâcher.

- Oui.

   La spontanéité de sa réponse me fait sourire. 

- Moi pas, dis-je en continuant. Ca semble beaucoup trop beau pour être vrai - je veux dire, ça fait combien de temps qu'il ne nous est pas arrivé un truc complètement incongru? Parce qu'à chaque fois qu'on se dit que «ça y est, c'est bon, on a fait le tour de tout ce qui peut nous tomber dessus», qu'est-ce qu'il y arrive? Une fois, c'est Gina qui débarque au beau milieu de la nuit et cinq minutes après, Tommy me tire dessus ; une autre fois, c'est «coucou les enfants, voici Megan»...

  Michael se retourne pour me faire face. Il prend mon visage en coupe dans ses mains et me regarde d'un air on ne peut plus sérieux, ce qui... bien sûr, je ne trouve rien de mieux à faire que de rigoler en silence, ce qui le fait lever les yeux au ciel en souriant.

- Linn, loin d'avoir l'intention de sonner dramatique, mais je te jure que si quelque chose ou quelqu'un s'interpose entre nous et Mobberley, ce... (Il se passe furtivement la langue sur les lèvres.) La chose qui arrivera à s'interposer entre nous et Mobberley n'est certainement pas encore née, mais si quelque chose venait à advenir - ce qui n'arrivera pas, mais si quelque chose venait à advenir, alors on trouvera autre chose que Mobberley - et par «autre chose», j'entends absolument tout, si pour une raison ou une autre, le seul endroit où il y a quelqu'un qui est prêt à nous marier, c'est... dans une station service au bord d'une autoroute à l'autre bout du pays, je te jure qu'on ira jusqu'au fin fond de l'Ecosse pour ça.

   Oh.

- C'aurait aussi été marrant dans une station service, je pense, dis-je en mettant les mains à plat sur ses joues dans un geste imitant le sien. 

- Alors on ira fêter nos anniversaires de mariage dans des restaurants self-service d'aires d'autoroutes, si ça peut te faire plaisir. Chaque année, une station service différente. Ca sonne comme quelque chose que tu aimerais bien faire, ou bien? ajoute-t-il sur un ton taquin.

   Cette fois-ci, c'est à moi de lever les yeux au ciel en feignant l'indignation

- Moque-toi de moi, Michael... 

- Je n'oserais pas. Jamais.

- Tu n'es pas drôle.

- J'ai d'autres talents.

- Oui?

- Oui, rétorque-t-il avec un sourire avant de se pencher vers moi pour m'embrasser.

   Je crois que dans l'historique de tous nos baisers, celui irait directement dans le top 3 des plus ratés. On sourit chacun beaucoup trop pour que cela puisse fonctionner et lorsque nos dents s'entrechoquent un peu brusquement dans le vide, je mets à rigoler comme je ne l'ai pas fait depuis....

   ...depuis hier soir, en fait. Depuis hier soir, lorsque Michael et moi étions chez Finn et Isiah et que le jeu de la soirée avait été que chacun créé un PowerPoint sur un de nous quatre et le présente aux autres. J'avais dû faire ma présentation sur Finn, Michael sur moi. Dans son diaporama, il y avait à un moment rien d'autre qu'une énorme photo de noix de coco et Michael a dit, en parlant de moi à la première personne comme il fallait le faire, quelque chose de l'ordre de «il y a une rumeur circulant sur le fait que j'aime particulièrement la noix de coco, mais cela ne serait en réalité rien de plus qu'une rumeur, donc ça ne sert à rien d'essayer de m'acheter avec de la lessive et du pshit-pshit pour les vitres noix de coco», et...

- Je suis d'accord, dis-je finalement en sentant ma gorge se serrer un peu. S'il y a quelque chose qui s'interpose entre nous et Mobberley et qu'il ne reste qu'un restaurant self en bord d'autoroute, alors je te jure que deviendrai Madame Linn Pritchard, épouse Gray dans un self en bord d'autoroute.

   Pour seule réponse, Michael m'embrasse à nouveau.

[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant