[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AU

» Chapitre 7 : LaBelleEpoque «

- Il n'a pas été trop embêtant, hier soir?

Sa question aurait pu me faire stopper net, mais j'ai trop l'habitude du fait que Tommy Shelby soit au courant de tout sur tout le monde que je parviens à continuer à faire comme si j'étais toujours encore en train de lire les documents qu'il vient de me passer comme si de rien n'était.

Le sujet de la réunion de ce samedi matin : Linn, tu peux m'expliquer pourquoi les donations de Shelby Company Limited ont augmenté sur ce que tu as rempli hier? Sur ce à quoi j'ai répondu que c'était parce que les débuts de la crise économique imminente se font sentir et que certains donateurs ont réduit leurs subventions. Il n'a rien répondu à cela, ce que j'ai interprété comme un «Je n'aime pas l'idée de faire chuter un peu les bénéfices de l'entreprise, mais si c'est nécessaire, tu peux continuer à ajuster les budgets des orphelinats comme ça le temps qu'il faudra».

Si ce n'est pas ce qu'il avait en tête, et bien... il me le fera bien comprendre, je suppose.

Les réunions du samedi se déroulent généralement en petit comité, pour ne pas dire qu'il n'y a quasi exclusivement Tommy et moi à chaque fois. Théoriquement, je ne suis pas tenue à travailler le samedi matin, mais j'aime bien me dire que ce que je n'arrive pas à régler durant la semaine, j'ai un créneau pour m'en occuper le week-end.

La réunion d'aujourd'hui était initialement annulée car Alfie Solomons, qui était censé être de la partie, s'est finalement désisté et j'étais partie du principe que du coup, Tommy se serait donc préparé pour une réunion traitant des liens entre Shelby Company Limited et Solomons Industries ou ce genre d'affaires. Mais finalement, lorsque je l'ai croisé à Arrow House ce matin, il m'a passé une pile de documents à examiner - un nouveau plan de gestion de l'orphelinat de Plymouth qu'Ada avait commandé à une agence et des dépenses suspectes en eau à examiner à Birmingham.

Ce n'est pas la première fois que la facture d'eau d'un orphelinat explose, et généralement c'est parce que les enfants décident d'allumer toutes les douches toute la nuit et à marcher en-dessous dans le noir pour faire comme s'ils étaient des explorateurs au fin fond d'une jungle tropicale en train de se faire saucer par la pluie. A l'instant où il en a parlé, j'ai passé un coup de fil à l'orphelinat de Birmingham, mais personne n'a décroché. Je réessayerai à midi, j'aurais peut-être plus de chance.

Et maintenant, voilà que Tommy est en train de parler d'Harrison. Assise en face de lui à son bureau, je le vois allumer une cigarette du coin de l'oeil.

- Le jour où on apprendra que tu as mis des caméras au-dessus de chaque mètre carré de Birmingham, je ne serais même pas surprise, dis-je tout en continuant de faire semblant de lire le document.

- Je prends ça comme un oui, donc.

Il s'adosse contre le dossier de son fauteuil et je vois qu'il me dévisage à travers les minuscules verres ronds de ses lunettes.

Quand j'ai présenté Harrison à tout le monde il y a un an et demi de cela, ils l'ont tous relativement bien accueilli dans le groupe.

Polly et Finn ont certainement interprété la nouvelle comme un «ouf, c'est peut-être un signe que Linn se remet enfin de John et du machin avec Michael». Isiah a tout de suite été enchanté par les goûts musicaux d'Harrison - qui, je dois l'avouer, sont vraiment pas mal du tout. Mes parents n'étaient pas les plus enchantés du monde - après toute l'histoire entre Harrison et moi au lycée - même s'ils n'en connaissent pas les détails - c'est parfaitement normal.

Le seul qui n'a pas semblé sous le charme d'Harrison à l'instant même où il a posé les yeux sur lui, c'est Tommy. Parfois, j'ai juste envie de lui demander s'il sait que j'avais le H de Harrison tatouée sur les côtes ou si c'est juste son antipathie générale pour l'espèce humaine qui justifie ce dédain.

- Prends ça comme un « Thomas Shelby, il serait peut-être temps de te mêler de tes propres affaires avant d'aller fouiller dans celles des autres ». Je vais réessayer d'appeler l'orphelinat à midi, ils étaient peut-être tous sortis faire une de leurs ballades du week-end...

- Je suis sérieux, Linn.

- Et moi donc. Le gaspillage de l'eau, ça ne rentre vraiment pas dans les chartes des Instituts Grace Shelby. Mais après, si le pire que ces enfants font, c'est laisser les douches allumées... Franchement, je préfère ça. Tu as vu les statistiques qu'Ada a envoyé à tout le monde l'autre jour? Mercredi c'était, je crois. Pas une seule intervention policière ces deux dernières années à l'orphelinat d'Edinbourg, et le nombre de jeunes issus de l'orphelinat de Birmingham qui ont été interpellés par les forces de l'ordre après avoir fait un peu de bazar dans la ville a été divisé par trois ces six derniers mois!

Il n'a pas l'air franchement convaincu, mais je comprends qu'il lâche l'affaire au moment où il ouvre son ordinateur portable et que je l'entends cliquer à droite et à gauche à l'écran.

Bon, je suppose que cette réunion est terminée. J'aligne toutes les feuilles que j'avais posées devant moi en un beau tas, puis me lève pour aller rejoindre mon bureau à moi. Mais au moment où je sors de la pièce, il m'interpelle.

- Avant que je n'oublie, Linn - j'étais censé prononcer le discours d'inauguration de l'orphelinat de Manchester le mois prochain, mais j'ai quelque chose d'autre prévu ce jour-là. J'ai informé la presse que ça serait toi qui parleras pour l'occasion, j'espère que ça ne te dérange pas.

Ce n'était pas une question, bien évidement. Mais par chance, ce ne sera pas mon premier discours retranscrit à la télévision, donc ça aurait pu être pire : il aurait pu m'annoncer que finalement l'orphelinat n'allait pas du tout ouvrir à cause de la crise, ou bien que Michael allait débarquer à l'improviste demain, ou bien qu'un des chevaux se soit cassé une patte à une course.

- Le discours a déjà été écrit par une de mes secrétaires, ajoute-t-il et si ce n'était pas Tommy dont il était question, on pourrait presque penser que l'idée de me refourguer une telle tâche le fait un peu culpabiliser.

* * *

Une fois mon travail de la semaine fini, je me rends à la cuisine d'Arrow House où m'attend le plat du jour, une belle assiette de lasagnes, que je mange tout en regardant ce qu'il se passe à droite et à gauche sur les réseaux sociaux.

Isiah a posté une vieille photo de lui enfant en train de pleurer, assis tout en haut d'un toboggan vert, avec le hashtag LaBelleEpoque. Rien de nouveau du côté de Finn, Harrison non plus. Taylor Swift fait la promotion de son nouvel album, James Corden annonce que Billie Eilish sera la prochaine invitée du Late Late Show. Charlotte Murray poste une photo d'elle dans un très joli trench brun clair avec le hashtag L'AutomneArrive.

Une fois que j'ai fait le tour de mon fil Instagram, je décide d'aller regarder un peu ce que les gens ont mis dans leurs Stories. Isiah partage deux chansons qu'il a découvertes récemment (et que je connais déjà car ça fait depuis avant-hier qu'il la chante à tort et à travers), Charlotte fait la promotion de sa dernière photo Instagram. Ensuite, des Stories de gens que je connais de près ou de loin s'enchaînent et je les laisse défiler tandis que je continue de manger mes lasagnes. Qui sont très bonnes, soit dit en passant.

Et tout à coup, alors que j'ai la bouche pleine, mon regard reste accroché à l'écran.

Une certaine Amelia, qui était dans ma promo à l'Université quand j'étais encore à Londres, a partagé en Story la photo récente de Gina Peretti. Amelia, je ne sais même plus quels cours on avait ensemble et lesquels pas, mais je suis déçue!

Bien évidemment, je n'ai pas pu m'empêcher de mettre mon doigt sur l'écran pour éviter que la Story ne défile. Sur la photo, il y a Gina Peretti, en costume rouge vif de la tête aux pieds, escarpins pointus de la même couleur, qui pose à côté de Michael, qui se tient droit comme un i, les mains dans les poches, dans un de ses costumes bleu très foncé habituels.

Il regarde droit dans l'objectif et j'ai l'impression qu'il me fixe à travers l'écran. Je lève le doigt et regarde la Story défiler avant que la suivante ne s'affiche. Les lasagnes ont maintenant un arrière goût amer.

Mon Dieu. C'est donc ça, ma vie? Trois ans plus tard, laisser encore Michael gâcher mes lasagnes?