» Chapitre 32 : Trouvé mieux ailleurs «

1K 79 29
                                    

   Tommy a refusé de me dire ce qu'ils avaient fait d'Harrison, ni où ils l'avaient mis. J'ai essayé de soudoyer Arthur et Johnny Dogs à leur tour, mais ils se sont contentés de me dire avec un air désolé que la situation était sous contrôle et que je ferais mieux de ne pas passer plus de temps à penser à Harrison que ça.

   Ils m'ont assuré qu'il était en vie, cependant. Et qu'il avait encore dix doigts et dix orteils, a ajouté Arthur en tentant de détendre l'atmosphère.

   Mais est-ce qu'il a encore deux yeux? Deux oreilles? Qui sait.

   Même si je n'irai probablement jamais débarquer un matin au bureau avec une boîte de pralinés sur laquelle est marquée «merci de vous être occupés d'Harrison à ma place - régalez-vous, xoxo», je suis contente de savoir que les chances que je recroise Harrison un jour à Birmingham sont assez faibles. Ailleurs, cependant...

   Non, il a compris le message. Il est con, mais il tient à sa vie. J'espère qu'il tient à sa vie. Il a intérêt à tenir à sa vie. Avec un peu de chance, il tient tellement à sa vie qu'il a pris le premier avion pour la Patagonie, la Thaïlande ou quelque chose comme ça. Il est intelligent, il arrivera vite à apprendre la langue du pays.

   Ou en tout cas, c'est ce dont j'essaye de me convaincre les jours qui suivent. Ma routine taxi - boulot - dodo m'aide à ne pas errer toute la journée. 

   A ne pas trop penser à Michael, non plus. Je n'arrive pas à oublier la façon dont tout avait semblé beaucoup plus facile quand il était venu chez Finn et Isiah, ce soir où la chasse à Harrison avait été lancée. Ce qui ne me sort pas non plus de la tête, c'est le fait qu'il m'ait annoncé qu'il n'a jamais perdu les milliards et... oui, je mentirais si je disais que le fait qu'il ne soit plus avec Gina ne m'a pas un peu chamboulée. 

   Est-ce qu'elle aussi, il l'a quittée parce qu'il a trouvé mieux ailleurs?

   Avec les journées du mois de mai qui se rallongent, je me suis trouvée une nouvelle activité le soir qui consiste à essayer de transformer le petit jardin de chez Finn et Isiah - qui me logent toujours encore gracieusement - en quelque chose qui ressemble un peu moins au carré de gazon artificiel auquel ils rêvent depuis un moment.

   Harrison avait installé un petit mètre carré de gazon artificiel sur notre balcon, il y a quelques temps de ça.

   Et c'est donc comme ça que je me suis retrouvée à Jardiland avec Lizzie et le petit Charlie un mercredi après-midi, où nous avons toutes les deux achetées relativement tout ce que son fils adoptif trouvait beau - après l'avoir convaincu que non, les fleurs, ce ne sont pas que pour les filles.

   Charlie n'était néanmoins pas trop convaincu et nous a forcées à acheter les géraniums les moins chers - à huit ans, son père lui a visiblement bien inculqué le concept de «faire des économies», ce qui est plutôt effrayant selon moi, mais qui suis-je pour juger?

   En rentrant du Jardiland, j'ai passé le reste de la soirée à pleurer assise sur le carrelage de la salle de bains quand j'ai vu que, comme prévu, j'avais eu mes règles. Rien que l'idée de ce qu'Harrison a tenté de faire et ce qui aurait pu se passer me donne envie de vomir. Au final, je crois que j'aurais préféré que Johnny Dogs m'annonce qu'Harrison a au moins perdu un ou deux orteils au passage. Ou plus, même.

   Et me voilà donc le lendemain soir, après avoir passé la journée au téléphone à essayer, en vain, de joindre le maire de Birmingham, en train de planter plusieurs géraniums dans un plus grand bac à fleurs devant l'entrée des Shelbys. J'ai déjà disposé plusieurs petits pots le long des marches de l'escaliers (Isiah trouvait que j'étais en train de transformer leur habitation en maison de grand-mère, Finn a dit que ça lui plaisait bien) et il ne me reste qu'à placer les plus beaux plants un peu à côté de la porte d'entrée. Mais pas trop près de la porte non plus, parce que si quelqu'un ouvre la porte trop rapidement et se retourne au dernier moment, le risque qu'il se prenne les pieds dans le bac à fleurs est...

   J'entends le portail émettre son grincement caractéristique en s'ouvrant.

- Les garçons te font payer ton loyer en travail, maintenant? dit Polly après avoir monté les marches du perron.

- Ils devraient, je réponds en terminant de tasser un peu de terre autour de la fleur. Avec tout ce que je leur coûte en nourriture et...

- Que penses-tu de la vengeance, Linn?

   Je fronce les sourcils et me lève pour pouvoir lui faire face. De grandes lunettes de Soleil noires sur les yeux, elle porte un costume de travail gris foncé et a un grand sac à main en cuir très vintage dans une main.

- Euh... c'est une très bonne question - qu'est-ce qui est justice, qu'est-ce qui est vengeance -, des sujets qui auraient pu tomber à l'épreuve de philosophie au bac et avec lesquels j'aurais probablement eu des meilleures notes qu'avec ce commentaire de texte de Rousseau, mais...

- Je sais où est Campbell.

   Il me faut une seconde pour comprendre ce qu'elle vient de dire.

   Campbell? 

   Je sais que Polly a un passé très conflictuel avec lui. Moi aussi, mais elle, encore plus. Personne n'en parlerait ouvertement, mais comme souvent, ce sont les choses dont on prétend l'inexistence qui ont le plus de signification.

- Où? je demande finalement.

- A une demi-heure de Birmingham, dans la forêt. Aberama Gold le tient.

- Tommy est au courant?

   Polly soupire en enlevant ses lunettes de Soleil avant de poursuivre à voix basse :

- Bien sûr que non. Si Tommy savait où Chester Campbell se trouvait, ce dernier serait déjà six pieds sous terre au moment même où je te parle. Peut-être pas littéralement six pieds sous terre, mais tu vois l'idée. 

- Et donc... dis-je en hésitant en sentant où elle veut en venir.

- Je n'ai pas aimé la façon dont les garçons se sont occupés de régler la situation «Harrison» sans te demander ton avis, ni sans te laisser participer aux festivités avec eux. A ta place, je... (Elle marque une pause et remets ses lunettes de Soleil.) Peu importe ce que j'aurais fait. En revanche, ce que je sais, c'est ce que Campbell voulait te faire. Et contrairement à Tommy, je veux que tu aies la possibilité de te venger. C'est à moi qu'il reviendra le plaisir d'être le dernier visage qu'il verra en ce bas-monde, mais cela ne veut pas dire que tu ne pourras pas t'amuser un peu avec lui avant.

   Il faut que je réfléchisse, j'ai envie de lui répondre. Je suis en train de planter des géraniums, je ne peux pas agir sans peser le pour et le contre avant et...

- Oui, je réponds à la place.

   Pour ce qui a failli m'arriver, pour ce qui m'est arrivé. Pour ce qui a failli arriver à Finn, pour ce qui est arrivé à Finn. 

   Pour Polly.

   Elle hoche une fois la tête, puis fouille un instant dans son sac à main.

- Tiens, commente-t-elle en me tendant la casquette symbolique des Peaky Blinders dont je vois deux lames métalliques à l'avant. Je pense que tu aurais dû recevoir ça il y a très longtemps déjà.



[ TOME 2 ] Michael Gray » Peaky Blinders AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant