Je veux savoir

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Le lieu dans lequel m'avait emmené le caporal m'était inconnu. La bâtisse semblait vieille de plusieurs années, l'écriteau au-dessus de la porte me laissait supposer que l'endroit devait être une ancienne taverne mais à l'intérieur je ne vis aucun bar... Peut-être que ce comptoir là-bas faisait office de buvette ? Argh, j'en savais trop rien !

Les lampes à l'huile ont toutes été détruites, notre seule source de lumière restait ce lampadaire au bout de la rue, celui-ci éclairait assez fort pour qu'on puisse distinguer nos silhouettes et les meubles environnants. Quoique, j'ai bien failli me ramasser cette chaise là ! :

« Caporal ? Pouvez-vous me dire ce que faisons-nous là ? Cet endroit est abandonné non ?

— Depuis vingt ans oui. C'est bon, t'es calmé ? Le ton de Livaï restait froid, il ne daignait pas à me regarder, il jugeait plus intéressant de débarrasser le mobilier de sa poussière d'antan. Quelle arrogance ce type quand il s'y mettait...

— Je suis calme.

— Ah vraiment ? Réagit-il sarcastiquement, j'ai toute la nuit, on m'a remplacé pour la ronde. Bien, maintenant assis toi. Maintenant Eren, j'vais pas me répéter. »

Cela faisait des semaines que je bossais avec lui et je m'y faisais jamais réellement à son imperturbabilité frigide. Il traîna sur quelques centimètres une chaise en stade de décomposition pour m'inviter à prendre place. Honnêtement, j'espérais à mieux comme tête à tête, sans déconner, qu'est-ce qu'on foutait ici ? :

« Tu commences.

— Je-

— Et ne t'avises pas à perdre du temps. T'as cette fâcheuse habitude de mettre les discussion en attente, il y a au moins trois sujets pour lesquelles tu m'as laissé en plan Eren. T'es ingérable.

— Vous pouvez arrêter de faire ça ? Me renfrognai-je en serrant la mâchoire.

— De ?

— M'engueuler comme un môme.

— T'en es un, j'vois pas pourquoi j'agirais autrement. Bon, pourquoi tu te marrais ? J'ai pas l'impression que la situation dans laquelle nous sommes soit plaisante.

— J'vous l'ai dit... J'ai un peu divagué. C'était un rire de nervosité.

— Ouai bah il me faudra plus que ça mon gars, on se marre pas tout seul dans la rue parce que c'est le chaos. T'es vraiment louche Jäger.

— Charmant... Il leva les yeux au ciel avant de s'affaler sur sa chaise, en face de moi.

— Eren Jäger, pour la dernière fois, pourquoi tu te marrais ? »

C'est vrai ça, pourquoi ? Je veux dire, un être normalement constitué aurait certainement pris ses jambes à son cou, ou alors n'aurait pas perdu de temps pour quérir ses supérieurs concernant ses inquiétudes. Pourquoi était-je resté sur place ? Je n'étais même pas autorisé à quitter notre bâtiment. C'est certain, si Hange l'apprend, je vais me taper l'engueulade du siècle, elle qui a besoin de moi pour des tests tôt dans la matinée demain, la merde.

En réalité... Non, je n'avais pas de réponse décente à offrir au caporal. Il me prenait déjà pour le dernier des timbrés, lui dire que je n'avais aucune raison valable pour partir dans un fou rire inexpliqué me porterait préjudice. Le connaissant, il me foutra la rouste de ma vie.

Pourtant, ce n'était pas de l'arrogance de penser que j'agissais sans raison apparente, au contraire, je me sentais plus que désorienté. Les situations s'enchaînent anormalement vites depuis quelques jours et je n'ai pas trouvé le foutu moyen de trouver une maîtrise adéquate de mon titan dans les situations que je craignais le plus.

J'en venais à me dire... Est-ce que tous les titans anciennement humains ressentaient le même désespoir que moi ? L'impression de n'être qu'un esprit emprisonné dans une carcasse géante ? Je n'étais même plus certain d'agir en mon nom... Les souvenirs qui m'envahissaient me criaient de regarder « le problème » sous un autre angle. Quel angle ? Celui de l'ennemi ? Pourquoi ? Qu'est-ce que ça m'apporterait de savoir ô combien ils jouissaient de se venger de nous ?

Cependant... Un détail m'interpellait concernant mes récents flashs... L'instructeur Keith Shadis, ouai ce type là, je ne comprenais pas comment il pouvait se trouver dans les souvenirs de mon vieux. Ça n'avait pas de sens. Quel lien pouvait-il avoir avec le secret que gardait mon père dans sa cave ? :

« Oï Jäger, c'est quoi cette tronche ? Tu te décides à me répondre ou je te fais cracher le morceau moi-même.

— Arrêtez ça, m'agaçai-je.

— Quoi encore ?

— De me menacer. C'est comme si... Vous éprouviez une sorte de considération vachement malsaine à mon égard. Tout ce que je me dis là maintenant caporal, c'est que vous aussi vous savez que la situation nous échappe. Dites moi si j'ai tort mais... Le titan au village de Ragako, il était humain ? »

Cette fois-ci ce fût à son tour de la fermer, lui-même avait besoin de réfléchir quelques secondes avant de m'asséner de critiques, qui comme toujours, sortaient dans le seul but de plomber mon moral :

« Oui.

— Et vous ne trouvez pas ça bizarre ? Comment pouvons-nous nous changer en titan comme ça ? Hein ? »

Ma question sonna comme une mauvaise boutade, une tentative d'auto-dérision loufoque et dérangeante. Pourtant c'était une réelle question, car dans les morceaux de souvenir que je recelais de jour en jour, l'origine même de ma condition résultait d'une ultime tentative de survie des convictions de mon père, à travers moi. Qu'est-ce qui pousserait la personne responsable de ce chaos à changer des âmes innocentes en ces bêtes immondes ? :

« Il est évident que nous sommes complètement à la ramasse, des clowns de la farce. Ça craint, déclara-t-il en relâchant les tensions dans son corps, comme si toutes les merdes du monde devenaient toutes insignifiantes, comme si rien n'en valait plus la peine. Toi, t'es bien un titan et pourtant tu restes doté de ta conscience, tu la contrôles. Alors pourquoi faire des nouveaux titans « sans cervelle » ? Sans ça, nous n'avons jamais su quelle méthode était employée pour ça, toi le premier. Crois moi, nous ne la trouverons pas en fouillant le titan de Ragako... Il y a un type dans la nature qui à l'évidence, comme ton père, gambade entre nos murs en nous rajoutant des titans sur les épaules. Si j'le choppe, j'le bute.

— Si la transformation de titan dépend d'une seule personne, c'est toute la population qui est en danger... Vous pensez que Reiner ou Bertholt serait revenu pour ça ?

— Ça s'pourrait, leurs motivations sont quand même assez tournées vers notre extinction, j'veux pas dire... Bon et ensuite ? Les titans sont, mettons, tous des humains... Nous n'avons que le résultat au problème, pas le raisonnement.

— C'est sensiblement ce que j'essaie de vous partager depuis cinq minutes caporal...

— Oui bon... On n'avance pas pour autant. »

Je ne savais trop dire pour quoi, mais l'atmosphère m'était plus légère. À force de confronter le regard de mon chef, j'y voyais comme une pointe de défi dans ses iris grises. Notre discussion avait tout l'air de s'apparenter à un genre d'entretien de contrôle pour savoir si je restait apte à demeurer l'arme principale du Bataillon mais au lieu de ça, j'avais avec moi un Livaï épuisé des théories, il souhaitait seulement parler avec quelqu'un de son entourage sans tergiverser sur le sens même de notre Histoire – bien que ce soit toujours que professionnel – nous nous accordions à dire que nos destins restaient bien merdiques et pourtant si décisifs.

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