XXXI - La Rage d'un Frère - Partie 2

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  Elle attrapa un chevalier qui passait par là par sa cotte de mailles et le plaqua au mur. Le pauvre soldat, pris au dépourvu, resta tétanisée d'effroi en voyant la monarque aussi agitée qu'un animal.

— Où sont les majors ? murmura-t-elle avec un souffle furieux.

— D-dans la c-cale, répondit-il. Une infirmerie de fortune y a été aménagée, ajouta-t-il en la voyant hausser les sourcils.

Elle le lâcha sans même s'excuser et se précipita dans les catacombes du navire. N'attendant que le moment où elle se jetterait dans les bras du major, Lunera ouvrit la porte. Et là, parmi les soldats valides qui s'affairaient avec des plateaux de soin entre ceux qui étaient blessés, Lunera le vit enfin. Arkh se tenait là mais pas comme elle se l'imaginait.

Le jeune major était étendu au sol, les bras le long de son corps. Elle ne vit que les contours indistincts de son visage et la partie haute de son thorax, ainsi que ses membres inférieurs. Le reste de son tronc était caché par la silhouette imposante d'Akman qui se tenait agenouillé près de son frère, dos à la porte.

Choquée, la reine s'avança lentement, ne remarquant plus rien autour d'elle. Lunera ne réagit même pas lorsque dans sa droite avancée, elle bouscula involontairement un chevalier qui tenait un cageot de potions et de bandages. En s'approchant, elle entendit des bruits étouffés venant d'Akman. Elle comprit alors qu'il pleurait, noyé dans un chagrin infini.

Indifférente à tout ce qui se passait près d'elle, indifférente à la tristesse des uns, indifférente à la souffrance des autres, seuls comptaient ses propres sentiments. Planant comme une ombre au-dessus d'elle, une peine éternelle menaça de s'abattre sur Lunera et de l'emporter dans un accablement sans fin.

Lunera bouscula Akman sans ménagement et tomba elle-même à genoux devant le visage d'Arkh. Un sentiment effroyable s'empara d'elle toute entière à la vue de cette face éteinte à jamais. La mort y avait soufflé son haleine glacé, délestant Arkh de toute la chaleur de la vie. Son catogan défait, ses cheveux avaient été rabattus soigneusement derrière ses oreilles. Ses paupières étaient fermées et ses traits étaient froncés dans une grimace de haine qui n'échappa pas à Lunera.

Même la mort, pourtant longuement dépeinte comme une délivrance des souffrances du bas-monde, n'avait pas été paisible pour ce pauvre Arkh. Les yeux grands ouverts de Lunera se déportèrent sur le torse du général où une plaie sanguinolente figurait à l'emplacement exact de son coeur.

Assad... Assad... Assad et Arkh...

Lunera perdit tout contact avec la réalité et se retrouva propulsé dans un espace particulier où de terribles images nées de son esprit surgirent pour la hanter tels des monstres hideux. Naviguant dans cette mer de souvenirs effroyables, les images du cadavre d'Arkh se mêlaient à celles du sabre d'Assad. Elle revoyait l'arme impitoyable, promettant mille représailles à la reine et sa suite. Bien qu'elle ne fut témoin de la scène, son cerveau s'évertuait à fabriquer d'autres images, plus terribles encore, où le sabre d'Assad tranchait Arkh de part en part et lui fauchait la vie sans la moindre effort. Sa dernière action fut de protéger celle qu'il aimait.

Encaissant de plein fouet la nouvelle, Lunera n'arrivait pas à y croire. Elle eut l'impression que l'on prenait son coeur et qu'on le réduisait à néant, qu'on l'écrasait sans ménagement, qu'on le détruisait sans la moindre compassion. Une douleur incommensurable s'empara d'elle toute entière. Chaque parcelle de son corps, chaque cellule de son organisme, criait à l'unisson une plainte effroyable, pleurant la mort d'Arkh. C'était la pire des choses qui pouvait arriver à Lunera.

Terreur Lunaire - Livre 2 - Geôle CristallinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant