XXVII - Hauts les Coeurs ! - Partie 3

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21 août 1875 — Sultakara

  Un voile sombre cachant son visage et son cou, Lunera traversa le boyau obscur du châtelet de la Porte Sud du royaume de Sultakara. Tendue, elle appréhendait le début de l'offensive. Invisibles, les trente-trois vaisseaux arkhasiens attendaient un peu plus loin des palissades pour ne pas se faire repérer avec le bruit de la machinerie.

  Filant comme une ombre dans l'obscurité du point de contrôle, elle s'étonna de ne voir aucun chevalier monter la garde.

Pourtant, chaque fois que je suis venue, il y en avait qui surveillaient...

  S'armant de davantage de vigilance, elle déboucha finalement dans la grande avenue de la capitale qui s'étalait sur une longue distance.

À mi-chemin, je lance le signal.

  Marchant d'un pas hâtif, elle jetait des coups d'oeil furtifs tout autour d'elle. Pas de soldats. Pas de passants. Pas de commerçants. Personne. La stupéfaction laissa place à une lente angoisse qui menaçait de la dominer toute entière.

Ce... n'est pas normal !

  Les volets des maisons étaient fermés tout comme les rideaux de fer des divers commerces. Lunera s'arrêta au milieu de la route, tétanisée par un mauvais pressentiment. Le royaume Sultakara ne semblait être que l'image de lui-même. Telle une ville fantôme, la capitale se complaisait dans une froideur, indifférente aux doux rayons chatoyants du soleil qui prenait sa haute place céleste.

Il est tôt certes... mais... même à Arkhess, il y a de l'agitation à des heures comme il ne faut pas...

  Une brise froide souffla emportant des feuilles juchées par terre qui s'envolèrent dans des tourbillons sinistres. Non épargnée, une mèche de ses cheveux fut soulevée par le vent inquiétant.

Que se passe-t-il ?

☾☾☾

— Ministre Thèvena ! héla le mirador perché sur le mât du vaisseau-mère.

  À la panique que renvoyait sa voix, Solèna se précipita hors de la salle de commandement du vaisseau et arriva sur le grand pont, où descendit l'homme aux jumelles.

— Re-regardez... balbutia-t-il. Là-bas... les toits...

  Une sensation funeste la saisissant, elle lui arracha les longues-vues sans ménagement et les plaqua sur ses propres yeux. Elle sentit alors son coeur tomber comme une pierre au fond de sa poitrine. Au lieu des tuiles couleur brique des maisons, elle vit un véritable océan grisâtre et étincelant, créé par les armures des soldats sultakarois qui s'y cachaient.

  Sans attendre, la ministre fila vers le gouvernail et activa le dispositif de communication avec les autres aéronefs.

— À toutes les unités, je répète, à toutes les unités ! Code rouge ! Code rouge ! Approchez les vaisseaux de la capitale et protégez votre reine. Nous sommes dans...

  Soudain, face aux forces arkhasiennes, un rai de lumière fila dans les cieux et des flammes explosèrent projetant un souffle ardent sur eux et une pluie de feu sur les maisons sultakaroises. C'était le signal d'urgence de la reine.

— ... l'urgence, finit la ministre, pantoise.

☾☾☾

Quelques minutes plus tôt...

  Lunera déglutit et reprit sa marche, d'un pas plus vif. Elle arriva au premier carrefour où se poursuivait toujours la grande venue tandis que d'autres rues s'ouvraient vers d'autres points de la ville. C'est là-bas qu'elle le vit.

  Drapée dans un habit bleu roi sublime, une silhouette encapuchonnée au visage indiscernable se détachait de l'obscurité d'une ruelle particulièrement sombre.

Que... se passe-t-il ?

  La tension était si palpable, si intense, que Lunera sentit une sueur froide perler à son front. Son souffle se bloquant parfois dans sa poitrine, elle vit la personne se déplacer lentement jusqu'au centre du carrefour. Le capuchon cachait une silhouette disgracieuse sur bien des points. Le corps asymétrique, le côté droit semblait renflé contrairement au gauche, témoignant d'une anatomie pour le moins surprenante. Lunera fit un pas en arrière, sa main se rapprochant doucement de son fourreau.

Qui est-ce ? Je n'ai pas laissé Sultakara dans cet état-là !

  Tout à coup, le côté droit de la cape se releva d'un coup et dévoila un formidable sabre qui acheva de faire perdre toute couleur à Lunera, déjà pâle. Telle une aile bleue, l'arme du roi Assad se dressa fièrement vers le haut tandis que son capuchon tomba tout à fait, dévoilant ses durs yeux couleur saphir et son catogan noir.

  De cet ordre tacite jaillit une nuée de chevaliers cachés sur les toitures des maisons qui sautèrent sur la rue pavée de l'avenue. Ceux qui ne virent pas l'ordre du roi réagirent en voyant leurs frères d'armes se déployer et sautèrent à leur tour. Le bruit tonitruant des armures cliquetantes fut comme une alarme pour les chevaliers cachés dans certains bâtiments qui déboulèrent à leur tour. Affligée, Lunera ne savait où placer ses yeux.

NOUS ÉTIONS ATTENDUS !

  Ahurie devant cette avalanche sultakaroise qu'elle ne pensait absolument pas voir, à laquelle elle n'avait pas songé mêmes dans ses pires prédictions, Lunera réagit au quart de tour et dégaina la Terreur Lunaire vers les cieux en rugissant :

PYROMÉTA BRASIEM !

  Un souffle enflammé jaillit vers le ciel avant d'exploser dans une formidable déflagration. Le brasier infernal était le signal d'urgence. Le plan ne se passait pas du tout comme prévu.

Terreur Lunaire - Livre 2 - Geôle CristallinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant