XXXVI - Déjà-vu - Partie 2

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23 août 1875 — Distorsion, Âme de la Planète

Lunera ouvrit les yeux. Tout autour d'elle, l'espace se déployait dans un camaïeu de rouge. Elle se leva lentement, observant les lieux, regrettant de ne pas voir trois paires d'yeux supplémentaires pour tout dévorer du regard.

Elle demeurait debout sur un vaste sentier de cristal rougeâtre, qui allait toujours tout droit. Le ciel était d'une teinte pourpre inquiétante, surplombé de nuages, parfois épais, parfois vaporeux. Il n'y avait pas de soleil, ni de lune, la lumière environnante venait du ciel lui-même, enveloppant les lieux de ses clartés rougeâtres, presque maléfiques.

Je ne pensais pas que le domaine du Coeur Arkhale serait aussi inquiétant.

La silhouette de Solèna entra alors dans son champ de vision. Allongée près du rebord du sentier, l'ancienne ministre semblait évanouie.

— Solèna ! Solèna ! s'écria Lunera en accourant vers elle, affolée.

Cette dernière grogna et papillonna des yeux. Elle se redressa au plus grand soulagement de Lunera.

— J'ai eu si peur, soupira-t-elle. Je croyais que-

Soudain, elle s'interrompit et s'avança jusqu'au seuil du précipice, une lueur effrayée dans le regard. Un océan noir comme une nuit sans lune s'étendait à perte de vue en contrebas.

Ce ciel rouge... Cette mer noire...

— Qu'avez-vous ? Demanda Solèna, curieuse de voir son amie aussi absente.

Lunera ne l'écoutait pas, saisie entièrement par cette impression funeste de déjà-vu. Elle se pencha et vit que la plateforme cristalline sur laquelle elles se tenaient était en réalité un aqueduc à la hauteur vertigineuse. Nauséeuse, Lunera reporta son regard vers l'horizon et ce qu'elle vit confirma ses doutes : au loin, sur un petit monticule rocheux, un arbre mort voyaient ses branches défraîchies pendre vers la terre âcre.

— J-je... suis... d-déjà venue ici, Solèna ! s'écria-t-elle d'une voix perçante.

— Quoi ? s'étrangla l'ancienne ministre.

— Mon rêve ! Mon rêve ! Tout est pareil, je reconnais l'endroit parfaitement !

Lunera leva ses yeux au ciel, s'attendant presque à voir parmi les nuages le visage sombre de la femme terrible qui l'avait hantée avec Darkodem. Solèna écouta les explications confuses de Lunera. Saisissant l'énormité de la situation, elle déglutit ; cela ne lui disait rien qui vaille.

— Allons-y, encouragea-t-elle tout de même.

— O-oui... Vous avez raison. Après tout, ce n'était... qu'un rêve ?

Solèna ne répondit pas, sachant pertinemment que Lunera n'en pensait pas le moindre mot. Elle observa la paume de sa main gauche, toujours boursouflée par la brûlure que l'être étrange lui avait apposée.

Elles se mirent en marche, traversant l'immense sentier de cristal, qui allait toujours tout droit. D'une inquiétante monotonie, le paysage ne changeait point. Elles marchèrent plusieurs minutes d'un pas vif, les sens aux aguets, jusqu'à que, au loin, elles virent une lueur briller.

Terreur Lunaire - Livre 2 - Geôle CristallinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant