XXXV - Réunion - Partie 1

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22 août 1875 — Sultakara

Lasse, Saphir se détacha de la fenêtre où elle demeurait accoudée il y a encore une seconde. Traînant ses pieds, elle s'assit sur son lit, ressassant les évènements de la veille.

L'attaque arkhasienne avait engendré des dommages considérables, tant sur le plan humain que sur le plan matériel. Outre les quelques centaines de chevaliers décédés sous les coups ennemis, plusieurs quartiers furent brûlés et détruits dans la chute de l'énorme vaisseau-mère. D'autres arrondissements de la capitale avaient été particulièrement touchés, lésés par les sortilèges dévastateurs que les deux camps avaient usé.

Toutefois, comme l'affirmait Assad pour se donner du courage devant cette hécatombe : « ça aurait pu être pire ! ». Aucun civil n'était mort ou blessé. Ils avaient pris Arkhess à revers et les forces ennemies s'étaient rapidement retirées.

Dès lors que les arkhasiens battirent en retraite, la ville avait été passée au peigne fin pour sauver le plus de vies possibles. Certains soldats demeuraient ensevelis sous les gravats des maisons éventrés. D'autres, ne pouvant pas marcher, avaient besoin désespérément de soins ; alors, toutes les personnes valides s'étaient lancées dans ces missions de sauvetage.

Saphir elle-même, après avoir porté le coup fatal aux forces arkhasiennes, obéit machinalement à cette nouvelle tactique. À ses yeux, il était inutile de suivre Arkhess. En fait, elle ne savait plus vraiment ce qui était utile ou pas. Après son coup de rage, déchargeant la fureur terrible qui animait son sang, la perte de Fenrir fut encore plus vivace. Avec, les souvenirs du décès de Zahya resurgirent, ainsi qu'une peine infinie.

À peine avait-elle regagné la terre ferme, qu'elle fut sollicitée de tout les côtés. « La princesse de Sultakara ! La princesse ! Princesse Saphir ! ». On la reconnaissait comme la Victoire elle-même, celle qui avait chassé les ténèbres d'Arkhess. Son éveil toujours pas dissipé, Saphir fut demandée pour ses dons prodigieux.

Si un blessé grave devait immédiatement rejoindre une structure de soin, elle pouvait, le temps d'un battement de paupières, l'acheminer auprès des guérisseurs. Si une façade détruite d'une bâtisse menaçait de s'effondrer sur un conglomérat de blessés qui gisaient par terre, on n'avait qu'à l'appeler, et elle culbutait le mur fragilisé d'une attaque suprême qui laissaient les personnes coites d'admiration. En somme, l'appeler à chaque fois permettait un sacré gain de temps.

Saphir avait essayé d'aider du mieux qu'elle pouvait, en occultant ses propres sentiments afin qu'ils n'interfèrent pas avec son devoir. Toutefois, avoir passé toute la nuit à apporter sa main secourable, sans que l'on s'enquisse de son état, ni même que l'on s'inquiète de sa propre fatigue, l'avait poussé à bout : ne pensait-on pas à elle ?

Père a du faire pareil... quand mère est morte... C'est donc comme ça, être roi ? Passer le devoir de son propre royaume, avant ses propres sentiments ?

Elle était révulsée de voir des corps distordus dans tous les sens, saignant à la mort, criblés de balafres écoeurantes. Elle n'en pouvait plus de voir des corps sans vie, leurs âmes sauvagement arrachées par les affres de la guerre. Tout ce spectacle mortifère lui rappelait la manière cruelle et barbare dont Fenrir et Zahya avaient été assassinés. Dans un élan d'égoïsme, elle avait regagné furtivement le palais royal ; on se débrouillerait sans elle.

La princesse avait pensé retrouver une certaine sérénité dans ses appartements. Cette partie du château, fort heureusement, n'avait pas souffert du raid arkhasien. Toutefois, être enfermée entre ces quatre murs l'oppressait. Elle avait tenté de taire cette asphyxie mentale en se postant sur sa fenêtre pour respirer un peu d'air frais.

Terreur Lunaire - Livre 2 - Geôle CristallinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant