18 juin 1875 — Sultakara
À Sultakara, la générale Grenat prit une grande décision. Un air de profonde tristesse plaqué sur le visage, elle entra dans le salon royal impersonnel, où toutes sortes d'évènements étaient habituellement organisés. Les trônes royaux étaient vides. S'avançant sur les grandes dalles marmoréennes, ses pas résonnant autour d'elle, la générale observait avec minutie le salon, comme si elle souhaitait en imprimer les moindres détails sur sa rétine. Elle gravit les marches garnies d'un riche tapis bleu qui menaient aux assises royales et arriva près d'une table circulaire, tenue entre les trônes, où Assad posait ses effets personnels lors des cérémonies.
Le coeur lourd, Grenat tira son épée, fidèle amie qui la suivait depuis ses débuts dans la chevalerie. La lame immaculée, aux contours parfaits, rutilait naturellement. D'une splendeur peu commune, elle était inscrite dans les légendes sultakaroises depuis des temps immémoriaux et se transmettait de général en général. Elle baissa sa tête et son unique oeil vit son reflet, renvoyé par la surface miroitante. La générale détourna aussitôt sa tête, ne supportant pas de voir le bandeau de soie qui cachait son oeil mort. Il lui rappelait ce jour-là. Grenat fit volte-face et embrassa la pièce de son demi-regard.
— C'est ici que tout a commencé... murmura-t-elle.
Des souvenirs déferlèrent dans son esprit. Elle servait la maison des Sulta depuis tant d'années, qu'elle n'en faisait plus le décompte. Elle se rappelait encore de sa cérémonie d'adoubement et toutes les autres qui suivirent pour chacune de ses prouesses à l'épée, jusqu'à la promotion suprême de général des armées. Tant d'honneur à son égard, tant de respect, et tant d'admiration aussi...
Ses femmes, comme elle appelait tendrement les soldates à ses ordres, ne tarissaient pas d'éloges à son égard. Plutôt intransigeante, Grenat n'en montrait rien mais ça lui faisait plaisir tout de même. Assad se fiait personnellement à elle, lui donnant toujours les missions les plus retors et lui offrant l'honneur d'assurer l'apprentissage de l'épée à Saphir. Shems recherchait toujours sa coopération lorsque cela était possible. Tant d'aimables paroles et de tendres souvenirs qui se confondaient dans sa tête et qui tentaient de la retenir désespérément.
Même la reine, pensa-t-elle non sans un pincement au coeur, lui avait confié ce qu'elle avait de plus précieux.
Dont sa vie... Là où j'ai échoué.
Telle une gifle, cette pensée insidieuse l'arracha de sa contemplation mélancolique du passé. Elle lança un regard peiné à sa lame.
Que c'est ironique...
« Sauver La Reine » était son nom, mais confiée à Grenat, elle n'avait pu retarder le fatal couperet qui avait brisé la reine et brisé Sultakara. La général faillit et tomba un genou à terre. Le poids du remord l'écrasait pleinement, ne lui laissant aucune possibilité de rémission. La souffrance emplissait tout son être. Elle se distillait dans ses veines avec la virulence d'un venin, agitait ses nerfs avec la verve d'un choc électrique, écharpait son esprit de pâles incandescentes.
— J'ai si mal... murmura-t-elle, la voix chargée de chagrin.
Cette douleur, sa douleur, ne devait rien au poison. Pourtant, elle se releva courageusement et compartimenta ses émotions, le temps de quelques instants de recueil. Elle sortit du salon, l'épée toujours à la main, non sans murmurer :
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Terreur Lunaire - Livre 2 - Geôle Cristallin
FantasiLivre 2 de Terreur Lunaire ! Le premier tome est terminé et disponible sur une autre page ! Les Slames dérobées, la protection de Callisto déchue, les Gemmes Sidérales acquises, la distance entre Lunera et le Coeur Arkhale ne cesse de se raccourci...