Première affaire de Jibril Salgo Fatari

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— Vos qualifications sont plutôt intéressantes monsieur Fatari.

La femme en tailleur chic feuilletait au travers de ses petites lunettes rondes le fin dossier devant elle. Jibril déglutit. Il était nerveux. C'était son cinquième entretien pour sa demande d'alternance et la dame en face de lui était son dernier espoir d'entrer dans un cabinet proche de chez lui. Son père lui avait pourtant dit de ne pas se faire d'illusions, qu'un garçon comme lui n'obtiendrait jamais n'avait aucune chance. Mais Jibril ne l'entendait pas de cette oreille et était bien déterminé à prouver au monde "qu'un garçon comme lui" pouvait réussir aussi bien que n'importe qui.

Il avait toujours eu de bonnes notes sans trop se fatiguer, mais ce n'est qu'il y a quatre ans qu'il s'est mis sérieusement à charbonner. Passer aussi près de la mort laisse des traces. Après le collègue il était allé dans un très bon lycée où il avait obtenu les meilleurs résultats et une bource pour entrer en fac de droit. Pour sa seconde année il devait trouver une alternance pour parfaire sa formation. Quoi de mieux qu'allier théorie et pratique.

Ses seuls "défauts" étaient ses origines et sa jambe paralysée. Insurmontables à en croire les refus qu'il avait déjà essuyés.

Madame Harine posa un regard interrogateur à la jambe figée du garçon.

— Je lis ici que vous avez perdu l'usage de votre jambe durant la Grande Guerre de la Terre.

— C'est exact. Un tir de l'ennemi m'a atteint au niveau du bassin. Les médecins n'ont rien pu faire.

— Et les guérisseurs ?

Le ton de la femme était hésitant, presque chuchoter, comme si elle parlait de quelque chose de tabou. Jibril ne sent offusqua pas et se contenta de sourire pour la rassurer.

— Si vous en connaissez un assez puissant pour soigner ma jambe je suis preneur.

Elle baissa aussitôt les yeux vers le dossier. Jibril sentit son cœur se serrer. Avait-il dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Allait-elle, elle aussi, le congédier avec une extrême gentillesse de façade ?

Après une interminable attente, Madame Harine referma le dossier et replaça ses lunettes sur son nez.

— Je vais être honnête avec vous monsieur Fatari. Si j'ai accepté de vous rencontrer c'est uniquement pour des questions de quota. Mon cabinet est jeune et les autorités sont très pointilleuses sur la "diversité" des équipes.

Jibril retient un rire face au mépris à peine dissimulé de la femme.

— Votre profilé coche pas mal de cases. Vous recrutez en alternance serait donc un avantage administratif certain, mais... pouvez-vous m'assurer que vous serrez vous tenir ? Que je ne risque pas d'avoir des problèmes en vous faisant confiance .

Le jeune homme se força à sourire. Elle était honnête, c'était un fait. Combien de fois Jibril avait entendu ses mots sans fondement, juste parce qu'il était différent. Si elle n'était pas sa dernière chance il se serait déjà levé et aurait quitté les lieux. Mais malheureusement il ne pouvait pas. S'il voulait devenir avocat, il n'avait pas d'autre choix que d'accepter leur jugement jusqu'à ce qu'il puisse voler de ses propres ailes.

— Je vous le promets, se contant-il de dire en la regardant dans les yeux.

Elle hésita encore de longues minutes, le scrutant de haut en bas, comme s'il cachait un secret sous son costume bon marché. Puis elle finit par soupirer et se lever.

— Dans ce cas, rendez-vous lundi à 8 h, je ne tolérerais aucun retard.

Jibril se redressa en prenant appui sur sa canne et saisit la main tendue de madame Harine.

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