Monde Miroire

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 — Ouvre cette porte Malir ! 

Face au miroir de la salle de bain, Malir observait son visage boursouflé et le bleumaquillant ses joues. Derrière la porte, son père, qui ne s'est pas arrêté à un verre de rhum,frappait comme un forcené. Le cœur au bord des lèvres, son corps tremblait malgré ses mainsfermement attachées à l'évier. 

Il finirait par se calmer, il le savait. Mais c'était toujours la même terreur qui l'habitaitlorsque cela arrivait. Une peur viscérale que son père aille trop loin, qu'il ne sache pas arrêter.Malir releva la tête et plongea son regard dans celui de son reflet. Similaire en toutpoint et pourtant si différent. 

Malir était un rêveur. Ce qu'il voyait dans le miroir allait bienau-delà de son propre visage. Tout un monde s'y peignait, le monde miroir. Un lieu différent,magique, où il n'était plus ce garçon fragile et discret. Mais un mousquetaire, puissant et sexyqui défiait le monde par le regard. Il était celui qui gravait des R sur ses ennemis. Il étaitRilam. 

Il se redressa, inspirant profondément et relevant le menton pour donner plus d'allureà cette autre lui. Il avait arrêté de trembler, son cœur ralentissait. Il posa, d'un geste élégant,sa main sur la vitre, imité par son reflet souriant. "Viens dans mon monde" lui murmurait-il. 

Et c'est ce qu'il fit. 

Fermant les yeux il visualisa un foret verdoyant, des montagnes gigantesques, la merturbulente. Il vu un petit village en plein moyen âge, des habitants aux tenues abîmées par lesdures journées de labeur et les gentilshommes avec leurs épées à la ceinture. 

Il n'était plus face à son miroir, il ne sentait plus le verre sous ses doigts, il n'entendaitplus les hurlements et les coups de son père. Il regarda ses mains, grande et rêche, preuve desannées à s'entraîner à l'épée. Puis son regard s'attarda sur sa tenue, chemise blanche ouvertedévoilant son torse musclé, long manteau de cuir, botte haute et pantalon seyant. Il sentait unegrande coiffe sur sa tête, la plume de son chapeau lui caressant l'oreille. 

Il prit une grande inspiration, humant l'air empli d'une délicate odeur de campagne. Ilaimait cet endroit. Il aurait voulu y naître. 

D'un pas assuré, il rejoignit la première taverne et commanda une boisson sans alcool.Dans ce monde, il évitait le plus possible les démons de l'autre. Il but d'une traite et observales habitants du bar. Que des visages familiers qui avaient également leur version miroir. Lesbrutes qui l'embêtaient à l'école, deviennent de simple marchant au fond de la salle, le groupede fille qui se moquait de lui près de la porte jouant joyeusement aux cartes et l'élu de soncœur. La belle Éloïse, ici nommée Esiole. Sa luciole. Sa lumière dans ce monde si sombre. 

Ici elle était une femme de la cour, une demoiselle respectable et distinguée quirayonne dans sa robe en mousseline move. Leurs regards se croisèrent. Le rouge empourprales joues du jeune homme qui détourna aussi tout la tête, volant un rire à la jeune femme.

Ici ou là-bas il était timide. Malgré les atouts de son corps et son rang demousquetaire, il restait un adolescent incapable d'aborder la fille qu'il aimait, même en rêve.Il termina son verre et sortit. 

Il avait une mission à accomplir, la même qu'à chaque fois qu'il venait en ses lieux,un R à placer. Celle qui lui donnait la force d'avancer de l'autre côté. 

Il écuma les bars, cherchant sa cible et ne s'arrêta que lorsqu'il se retrouva face à lui.Une montagne de muscles et de rhume, empestant la sueur et la cigarette. L'homme au visagede monstre se tourna vers le mousquetaire qui dégaina son épée. 

Il rit. Il riait toujours quand il osait lui tenir tête.Sans un mot le combat commença. Tout n'était que silence dans le monde miroir. Unlourd et bruyant silence. Les larmes s'entrechoquèrent, les corps se repoussèrent. Il lui tenaittête, mais le monstre était plus fort, toujours trop fort.

Passant sous sa garde, Rilam planta son épée dans l'épaule rougeoyante de sonadversaire. Un liquide ambré, semblable à l'alcool qu'il buvait, s'échappa de sa blessure. Lemousquetaire recula et attendit que son adversaire face à de même. Les attaques reprirent.Encore et encore, avant de se prendre un revers qui l'envoya dans le décor. 

Malir hurla, lâchant le miroir et posant son regard apeuré sur la porte qui n'avait pascédé. Le choc l'avait extirpé de l'autre monde. Son père, de l'autre côté, s'était tu.Déglutissant difficilement, le garçon s'approcha du battant et y colla son oreille. Rien.Hormis le son d'une respiration rocailleuse. Il s'était endormi contre le battant. Comme ça luiarrivait souvent après un excès de violence. 

Soupirant de soulagement, Malir attendit plusieurs minutes avant d'ouvrir la porte. Lecorps de son père s'effondra sur les carreaux de la salle de bain, nappant le sol de sueur et debave. Il grimaça, l'enjamba et courut jusqu'à sa chambre qu'il ferma à clé avant de seréfugier dans ses couvertures. 

C'était fini. Il n'avait pas vaincu le monstre, mais il avait disparu. Un intensesoulagement sépara de lui. Il avait beau rêver de pouvoir affronter son père, il préférait quandmême rester bien sagement dans sa chambre. Il n'était pas le mousquetaire de ses histoires.Juste un enfant rempli d'espoir. 

Demain le soleil brillera, son père s'excuserait, s'il n'a pastout oublié, et la vie reprendrait son cours. Ce jusqu'à la prochaine fois.En attendant, il continuera à nourrir son reflet de force et de courage. Jusqu'au jour oùil sera lui tenir tête. Jusqu'au jour où Rilam et Malir ne feront plus qu'un. C'est sur cettepromesse qu'il s'endormit, sur cette promesse qu'il rejoignit son monde à lui.

un Chapitre une HistoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant