Chapitre 84

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J'essayais du mieux possible d'ignorer les murmures.
Je marchais aux côtés de Ryuu, suivant Miwa dans cette foule matinale, me cachant sous ma capuche.
Malgré l'heure, beaucoup de personnes se trouvaient d'ores et déjà dehors, échangeant des mots sur la cérémonie d'hier soir.
Les ragots allaient vite, or je n'avais imaginé qu'ils puissent être aussi rapides.

"-Apparemment, dame Hara aurait séduit un étranger, et ce devant son propre époux ! Elle serait ensuite partie avec lui, qui sait ce qu'ils ont fait !"

"-Il paraît que le général a partagé une valse plutôt suggestive avec sa femme, tu y crois, toi ?"

"-Pensez-vous que le gosse a réellement hésité, lorsqu'il a été question d'accepter le renouvellement ?"

"-J'ai entendu dire que le général et son épouse se sont éclipsés ensemble, et ce en plein milieu de la soirée !"

Et j'en passais.
La nuit avait été courte, ainsi je ne tenais pas à entendre parler de ces derniers événements qui étaient encore ancrés profondément dans ma mémoire.
En effet, je me souvenais de chaque parole et de chaque pensée que j'avais émise, et cela me couvrait de honte et de culpabilité.
Et que dire de cette nuit que j'avais osé passer aux côtés de mon propre ennemi ?
Comment avais-je pu-.
Bienheureusement, j'avais moi-même mis fin à notre conversation nocturne pour m'endormir le plus loin possible de lui, or ce contact me manquait, désormais.
Sa main dans la mienne.
Sa peau contre la mienne.
Cette chaleur me manquait.
Je me languissais de cette affection.
De lui.
Enfin, je ne voulais y penser davantage.
J'avais commis énormément d'erreurs, ce n'était pas la peine d'y penser.
Rien ne les effacerait.
Seulement, un détail s'était logé dans ma poitrine et ne voulait en sortir.
Une impression.
Lorsque j'avais quitté ce lit, tôt ce matin, elle s'était enfouie en moi et était maintenant agrippée à ma poitrine.
Celle que, tôt ou tard, je reviendrai dans cette pièce.
Dans ce lit.
Dans ces draps.
Que je finirai par retrouver son odeur dans ces tissus.
Cette intimité que nous avions.
Ou alors n'était-ce qu'une envie stupide de ma part ? Une envie qui n'avait lieu d'être ?
Pour ma mission, j'espérais que cette impression ne soit qu'illusion.
Peu importe, tout cela était passé.
Je me concentrai alors sur Ryuu, dans l'espoir de fuir mes pensées et mes remords.
J'étais à l'affût du moindre moment de faiblesse de sa part.
Bien que celui-ci marchait comme si rien ne s'était produit, je redoutais de le revoir chuter.
Cette scène resterait gravée en moi encore longtemps, voire jusqu'à ma mort.
La peur que j'avais ressenti, et qui persistait encore, était indescriptible.
Je ne voulais que cela se reproduise.
Je ne voulais qu'un moment semblable à celui-ci n'arrive de nouveau.
Or, je n'eus le temps de me soucier davantage de cela, puisque Miwa détourna notre marche dans une ruelle, jouxtant l'une des avenues principales.
Nous marchâmes alors quelques mètres jusqu'à nous arrêter à un bâtiment pavillonnaire.
Une pancarte en bois était installée en hauteur, indiquant : "cabinet médical".
Nous étions donc arrivés.
La gouvernante frappa alors à la porte tandis que je regardais dans toutes les directions.
Je redoutais que l'on soit remarqués.
Comment ferions-nous pour nous en sortir, si cela arrivait ?
Même si la rue n'était pas autant bondée que la précédente avenue, le danger n'en était pas moins écarté.
Bienheureusement, nous n'eûmes à attendre longtemps.
La porte ne tarda pas à s'ouvrir, pour laisser découvrir un homme d'assez grande taille, brun aux yeux noisettes, le visage décoré de légers traits occidentaux.
Et lorsque celui-ci posa les yeux sur Miwa, il laissa apparaître une certaine stupeur, qui se changea rapidement en douceur.
Seulement, celle-ci ne lui laissa plus de temps.
La gouvernante posa brusquement ses mains sur son torse pour le pousser à l'intérieur afin de laisser l'entrée libre. Ainsi, Ryuu et moi nous engouffrâmes dans la bâtisse.
Cependant, même après que la porte ait été refermée, nous gardâmes nos visages dissimulés.
Rien n'était encore sûr.
Cet homme, bien qu'il soit sûrement le médecin en qui Miwa avait placé l'entièreté de ses espoirs, n'était pas encore au courant de ce que l'on s'apprêtait à lui demander.
Il n'était pas digne de confiance, du moins pour l'instant.
Je vis néanmoins l'homme dériver son attention sur la gouvernante qui s'empressa de fermer les volets donnant sur la rue.
Elle prenait toutes les précautions nécessaires, ce qui n'était pas négligeable.
En attendant, alors qu'un silence d'incompréhension régnait, mes yeux parcoururent la pièce.
Nous étions d'ores et déjà dans la salle de consultation.
Un lit inclinable se trouvait derrière Ryuu et moi, au côté duquel était installé un tabouret à roulettes. Des commodes découpées de tiroirs se trouvaient de part et d'autres de la pièce, et une petite table en bois reposait non loin, des instruments dormant dessus.
Une deuxième pièce s'ouvrait également sur la droite, d'où commençait un escalier menant à l'étage.
Oui, c'était ici que tout se jouerait.

La nuit où je te tueraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant