S03 - EP 09 △ part II

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ÉPISODE 69 - (partie 2/3)

L'éclairage de la salle fut tamisé pour mettre en lumière la scène. Dean s'installa, positionna le micro à sa convenance et releva le cache des touches. L'ambiance changea ostensiblement. Il semblait que la scène prenait vie, tant elle imposait sa présence. Red en eut la chair de poule. Il finit par remarquer que la disposition des tables permettait à tous de voir l'estrade sans être gênés par un obstacle inerte ou vivant. Une piste de danse, excentrée, se trouvait en retrait, dissimulée par des tentures. Elle ne serait pas investie ce soir.

Dean égrena des notes aléatoires, comme s'il se présentait au piano. Le son clair porta avec l'acoustique de la salle et lui arracha un sourire. L'instrument était heureux de faire sa connaissance.

Red se mordit la lèvre inférieure, le cœur lourd. L'homme était si beau que c'en était douloureux. Non de cette beauté physique, évidente, qui suscitait l'admiration de toute la clientèle féminine. Ainsi mis en lumière, il émanait de lui une élégance abstraite, non attribuable au genre. Ce que voyait certainement Will à travers son objectif. Le contempler donnait l'impression de vivre un instant de grâce.

Un silence religieux s'imposa, comme il se concentrait sur la mélodie dans son esprit. Il n'avait pas choisi la facilité. Le principe du karaoké reposait sur une orchestration en playback et éventuellement des lyrics projetés sur écran. Dean ne recourrait à aucune de ces aides. De fait, il s'agissait purement d'un cover.

Les notes d'introduction se firent légères, puis de velours. La musique se déliait lentement, et Red la visualisa comme de la broderie de soie que l'on défaisait nœud par nœud. Il déglutit, le cœur toujours lourd. Quoi qu'il fasse, OTHER SELF avait cet effet sur lui ; un trop plein d'émotions qui lui obstruait sa gorge. Il ne savait jamais s'il allait pleurer ou non. C'était selon les jours, son état d'esprit, et sa capacité à étouffer sa douleur.

Pourquoi de toutes les chansons de Dius Core, de toutes les pistes de son répertoire musical, il avait fallu que Dean choisisse celle-là !? Putain, ce mec savait le faire chier ! Tu vas me faire chialer, Ducon ! Et pourtant, OTHER SELF était sa consolatrice. Un paradoxe. Elle le réconfortait lorsqu'il vivait ses moments de blues de « l'orphelin ». Quand son père lui manquait trop et qu'il n'arrivait plus à faire semblant. Quand l'absence de sa mère se ressentait et qu'il ne savait comment combler ce vide.

Il était des chansons que l'on pensait écrites pour soi. À l'époque de sa diffusion, il ne connaissait pas grand-chose à la musique. Il se savait juste fan de John Cerni, que les médias considéraient comme un génie camé. Il n'était qu'un pauvre gamin brisé par une agression, qui revivait son viol de façon morbide en écoutant SPARKLING TEARS en boucle.

Il avait espéré s'immerger dans la composition, s'y noyer, afin que la chanson opère à nouveau sa magie et lui fasse tout oublier. L'horreur, la réalité, la vie, son corps, sa douleur, sa laideur... le manque cruel de sa mère. Mais SPARKLING TEARS avait causé des dégâts, en gravant à jamais dans son esprit le souvenir du cauchemar, tout en arrosant la graine du déni.

Puis OTHER SELF avait vu le jour, tel un vœu exaucé. Deux semaines avant le décès de John Cerni par overdose au cocktail-C. L'artiste surdoué quittait ce monde en lui laissant ce cadeau. C'était ainsi que Red l'avait vécu à seize ans. En écoutant les paroles, pour la première fois, il avait ressenti du réconfort.

Autour de lui, on était loin de son trouble. Les autres spéculaient sur l'identité du fameux Mr Rell. Ran, qui se garda de leur venir en aide, dévisageait Red d'un air étrange, puis inquiet. Avait-il vu briller des larmes ?

Sur une impulsion, Red sortit de table. Il n'y avait qu'une seule façon de canaliser ses émotions. Chanter. Jusqu'ici, cela s'était avéré l'unique solution à ses problèmes. Sous le regard interloqué de la salle, il atteignit la scène avant que Dean ne finisse la première strophe. Avec la dextérité de l'habitude, il s'empara d'une guitare acoustique, alluma un micro en pied et se cala sur la mélodie. Il entendit plus qu'il ne vit son ami sourire. Au refrain, le cover solo devint duo.

HOT CHILI - saison 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant