Chapitre 5

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« Saya' ? Saya' ? Oh ! Saya' ! »

Athénaïs leva brusquement la tête. Elle fixa l'écran situé face à elle, dans le coin de la pièce. Mohamed lui faisait de grands signes de la main.

« Désolée... »

C'était la deuxième fois de la séance qu'elle se perdait dans ses pensées. Heureusement, Jules, l'ingénieur du son, ne lui en tint pas rigueur.

« On reprend les back, je te repasse la piste. » annonça-t-il.

Elle hocha la tête et se concentra. Aux côtés de Jules, Mohamed avait les yeux rivés sur l'écran d'où il pouvait observer Athénaïs dans la petite salle d'enregistrement noire qui se situait un étage plus bas. Il savait que derrière lui, Ken faisait de même et ce, très probablement avec des yeux pleins d'extase muette. Il coula un regard dans la direction de son ami qui était assis sur un des deux canapés de la pièce. L'air pensif qu'il aperçut sur son visage l'interpella et lui arracha un sourire compatissant : la distraction d'Athénaïs le préoccupait, certainement.

Effectivement Ken contemplait sa belle avec un pincement au cœur. Elle pensait sûrement à lui. Il maudit une énième fois cet imbécile de Thibault qui, sans même sortir avec Athénaïs, lui barrait encore la route, près d'un mois après leur rupture. C'était à dormir debout : Athénaïs se culpabilisait à présent du fait que Thibault l'ait trompée, leur avait confié Pauline, contrite. Quand comprendrait-elle qu'elle était juste trop bien pour lui, bon sang ?

La séance se termina sans trop d'encombres bien qu'Athénaïs dût se reprendre plusieurs fois à cause de quelques étourderies.

« OK, déclara-t-elle après avoir entendu le résultat au niveau de la console, en compagnie de ses amis. C'est cool.

— T'étais un peu dans les choux aujourd'hui, Saya'. » lui fit remarquer Jules.

Athénaïs haussa les sourcils en guise de réponse. Elle n'avait pas envie de s'étaler sur sa vie sentimentale désastreuse, d'autant plus qu'elle savait les personnes présentes totalement réfractaires à entendre parler de Thibault.

« Faut croire qu'il y a des jours sans. » rétorqua-t-elle avec un sourire.

Témoins de la scène, Mohamed et Ken se regardèrent de manière furtive. Mohamed réprima alors un fou rire devant l'air complètement blasé de son ami. Percevant du coin de l'œil l'impatience de ses amis qui n'étaient pas dupes, Athénaïs détourna les yeux, un peu honteuse. C'était vrai qu'elle ne devrait pas autant s'accrocher mais c'était plus fort qu'elle. Thibault et elle avaient été amis depuis une dizaine d'années, et il manquait à son quotidien.

De son côté, Mohamed saisit son téléphone et rédigea un message rapide à Ken. Tâchant de rester de marbre, Ken lut la missive de son acolyte.

« C'est quand que tu lui « changes » les idées ? »

« C'est une meuf du crew, ça va tout niquer. »

« Pauline et Deen, c'est bien passé, non ? Petit Netflix & chill, gars, ça passe. »

« Saya est intelligente. Elle ne va pas se laisser pécho comme ça. »

« Ce n'est pas parce qu'elle est intelligente qu'elle est pas en manque. »

Leur conversation fut interrompue par Athénaïs qui, après avoir réglé quelques détails avec Jules, lança un « Bon, les gars, on y va ? ». Sortis du bâtiment qui abrita le studio, ils allaient se séparer quand Mohamed suggéra de prolonger la soirée à trois chez Ken.

« En fait, je dois faire un truc pour l'hôpital...

— Tu planais tellement tout à l'heure, j'ai cru que t'avais bédave, la coupa Mohamed. Ne me fais pas croire que ça va s'arranger ! »

La réplique du Maghrébin fit sourire Athénaïs. Il n'avait pas tort, son devoir de bibliographie attendrait. Ils prirent donc le métro en direction de l'appartement de Ken. C'était un T3 joliment aménagé dans les tons blancs, gris et noir. Ils se décidèrent à commander des pizzas, la paresse de faire la cuisine les ayant gagnés. Alors qu'ils naviguaient sur l'application mobile, le portable de Mohamed retentit.

« Allô ?... Ouais ?... Ah merde, j'ai zappééé !! »

Tandis que Mohamed poursuivait son chapelet d'injures, Ken, sentant le coup venir, détourna la tête d'un air légèrement gêné. « Mo' ! Je sais pécho une nana tout seul ! » criait sa fierté. Ce qu'il attendait arriva :

« J'ai complètement zappé, j'avais un truc avec la mif ce soir. En plus, on me l'a rappelé et tout, la mama n'est pas contente.

— Ouh là, dépêche-toi ! fit Athénaïs, hilare.

— Ouais, j'avoue. Désolé de vous lâcher ! »

Et Mohamed les quitta rapidement, les laissant seuls.

« T'es vraiment con, putain ! » reçut-il quelques secondes plus tard, sur son portable.

« Eclate-toi bien, gros ! Je veux la voir tous sourires demain. »

Tout en maugréant mentalement, une partie de Ken ne put se retenir de remercier chaudement son ami. Après près de six mois de frustration, ses fantasmes se concrétisaient : ce soir, il allait coucher avec Athénaïs. A cette idée, il se sentit soudainement nerveux.

« Bon ! J'ai commandé deux végétariennes parce que c'est sûr que je ne vais pas finir et comme tu n'apprécies pas le jambon à sa juste valeur..., le taquina Athénaïs.

— Parfait. On fait quoi ? répondit-il sans relever la pique malicieuse de la Malgache sur son végétarisme.

— Je ne sais pas, tu veux faire quoi ? »

Athénaïs porta son regard sur le téléviseur. Si elle pouvait proposer un film, ce serait parfait...

« Attends, je vais mettre la télé, il y a sûrement des trucs marrants à regarder. » dit-elle, se saisissant de la télécommande.

Il la regarda zapper de chaîne en chaîne sans que rien ne lui plût. Repensant aux messages de Mohamed, il se mit à réfléchir à la manière la plus naturelle de proposer un film sur Netflix quand il aperçut que les lèvres de la jeune femme se retroussaient peu à peu en un sourire amusé qu'elle essayait vainement de réprimer.

« Qu'est-ce qui te fait marrer ? » s'enquit Ken, intrigué.

Elle se mit à rire doucement sous l'air interrogateur du jeune homme. Elle resta une seconde, un sourire béat accroché à sa bouche. Enfin, avec des yeux rieurs, elle lui demanda :

« T'as Netflix ? »

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