Chapitre 18 (4)

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Dans le brouhaha de la boîte, Ken avait regardé Athénaïs s'en aller. La dernière fois qu'il l'avait vue aussi abattue, c'était lorsqu'elle avait rompu définitivement avec Thibault. Qu'est-ce que cet idiot lui avait encore dit ?

Athénaïs n'avait jamais su cacher ses émotions. Lorsqu'on la connaissait bien, il était possible de lire à travers elle comme dans un livre ouvert. Et le fait était qu'au moment où ils étaient sortis fumer et qu'ils l'avaient aperçue en sa compagnie, il leur était clairement apparu qu'Athénaïs nourrissait encore de profonds sentiments envers cet homme à l'apparence angélique. Pour lui avoir parlé quelques fois, Thibault semblait quelqu'un de très aimable de prime abord. Mais les ruptures incessantes d'Athénaïs avaient vite fait comprendre au groupe que la sympathie de Thibault n'était en fait que de la manipulation déguisée.

Athénaïs méritait tellement mieux.

En tout cas, le message était clair : lui n'avait pas beaucoup compté, comparé à Thibault. C'était plutôt une bonne nouvelle, objectivement, étant donné qu'il l'avait trompée aussi. Ce fâcheux incident serait aussi vite oublié que le reste de toute leur histoire... Mais tout de même. C'était un peu vexant. Le jour où il avait rompu avec elle, on aurait cru que le ciel lui était tombé sur la tête. Aujourd'hui, c'était comme si rien ne s'était passé entre eux et elle courait toujours autant après Thibault. « C'est parce qu'on n'est pas du même monde. » se dit-il avec un sourire sans joie.

Peut-être qu'Athénaïs ne méritait pas mieux que ça, finalement, si elle se cantonnait aux étiquettes. Si elle voulait un aristo-ingénieur malgache, grand bien lui en fît ! Lui aurait été sa parenthèse ghetto, sa caution « ouverture d'esprit ».

Seul dans son lit, Ken fixait son plafond sans vouloir sortir de cette chaleur si réconfortante. Olivia était partie en Italie pour plusieurs shootings. Elle lui manquait mais il n'osait pas lui envoyer de message, de peur qu'elle ne se crût en terrain conquis avec lui. Il referma les yeux. La frustration de sa libido insatisfaite le tiraillait. Comment avait-il pu tenir deux mois sans faire l'amour avec Athénaïs ? Maintenant qu'il avait retrouvé Olivia, c'était presque pire qu'avant.

En même temps, Athénaïs avait été tellement distante pendant leur relation que cette dernière avait beaucoup plus tenu de l'amitié que de l'amour. Non qu'elle eût été glaciale, mais elle interrompait très souvent, voire quasi systématiquement leurs gestes affectueux, de peur d'aller trop loin. C'était pesant.

« Quelle idée bizarre ! » murmura-t-il.

Malgré sa flemme intergalactique, le jeune homme se décida à se lever pour se doucher, tout en diffusant du Bob Marley à plein volume. De toute manière, il était quatorze heures, ses voisins n'auraient pas le culot de râler. Il prit un café en guise de petit déjeuner. Assis à sa table, il songea à allumer sa première cigarette de la journée mais se ravisa. Athénaïs avait beaucoup milité pour son arrêt, et même si elle n'y était pas parvenue, il avait pris conscience de lui-même de la nécessité de réduire sa consommation. Alors il essayait de prendre l'habitude de retarder le plus possible sa première cigarette. Il envoya un message à Idriss pour savoir ce qu'il faisait mais ce dernier ne répondit pas. Hakim était avec sa copine, Théo était bien sûr marié, Mohamed et Mikaël étaient rentrés de leur soirée accompagnés... « Bon, go à la bibliothèque. » s'encouragea-t-il.

Il partit alors avec toute la motivation du monde chercher un nouveau livre à se mettre sous la dent. Passionné de lecture, Ken était capable de terminer plus d'une cinquantaine de volumes par an. C'était d'ailleurs ce qui l'avait hissé au rang de coqueluche nationale : les gens aimaient le faire parler au sujet de ses lectures, et lui aimait en rajouter également, histoire de montrer que oui, les rappeurs pouvaient être cultivés. C'était également un moyen pour lui de rendre hommage à sa mère qui l'avait, pour ainsi dire, biberonné aux livres. Il se souvint de l'étonnement d'Athénaïs devant sa bibliothèque personnelle. « Moi, avec tous les livres de médecine que je me suis farcie et les articles que je passe en revue tous les jours en ce moment pour la thèse, je suis juste dégoûtée de lire ! » avait-elle déclaré avec un rire. Comme quoi...

Athénaïs...

Il s'était vraiment comporté comme un porc avec elle. Pourtant, elle n'avait pas insisté sur ses torts et faisait comme si de rien n'était. Quelque part, il aurait aimé réparer sa faute mais il ne savait de quelle manière.

Sur le chemin, il rencontra quelques fans avec qui il accepta de faire des photos et arriva ensuite à sa bibliothèque favorite — car elle ouvrait le dimanche. Elle l'accueillait bien souvent lorsque personne n'était disponible pour sortir. Là, il se réfugiait comme dans une bulle et les gens ne l'y embêtaient pas. D'habitude.

« Ah, tiens, Ken ! »

Il reconnut la voix qui chuchotait à moitié.

« Ah salut, Say'. Ca a été pour rentrer, hier ? » retourna-t-il alors que la jeune femme se plaça debout, face à lui qui était assis sur un des nombreux fauteuils de la bibliothèque.

Il considéra d'un coup d'oeil les jambes ciselées de son interlocutrice qui arborait des bottines à talons aiguille, des collants en voile noir, une jupe noire et une chemise bleue turquoise surmontée d'un col Lavallière. On était dimanche, se souvint-il. Elle sortait sûrement de l'église.

« C'est ici que tu te sers alors, continua Athénaïs en balayant les rayons du regard, sans répondre à la question posée.

— Ouaip. » répliqua Ken, tentant de détourner son esprit des gambettes de son amie.

Il était vraiment en manque. En outre, il avait oublié à quel point les jupes mettaient le physique de son amie en valeur.

« Tu lis quoi ? s'enquit-elle en avisant le pavé que Ken tenait en main.

— Consuelo, de George Sand.

— Ah, il est cool, ce livre... Vers la fin, je n'ai plus vraiment rien compris, mais il m'a marquée.

— Je pensais que tu n'aimais pas lire.

— J'adore ça. Juste qu'avec la médecine, ma relation avec la lecture est devenue compliquée... Mais en fait, je m'y suis un peu remise depuis un moment. »

Elle s'interrompit avant de poursuivre avec un sourire amusé.

« A vrai dire, ta collection de livres m'a fait envie. »

Cette dernière remarque flatta le jeune homme qui l'interrogea sur le livre qu'elle avait choisi. C'était un roman policier d'Elizabeth George.

« Je ne suis pas très « classiques ».

— Tu as bien vu chez moi : j'ai énormément de mangas.

— C'est vrai... Tu lis debout dans les rayons mangas, commença Athénaïs, sur le rythme de la chanson originale du rappeur.

— Parfois on dirait un gamin ! finirent-ils tous les deux, en choeur.

— Bon, allez, je te laisse lire tranquille, lui dit Athénaïs. Je me souviens d'avoir beaucoup aimé ce livre, j'espère que tu vas kiffer. »

Elle s'en fut quelques secondes plus tard. Ken put observer à loisir la jolie ligne noire verticale qui ornait les collants d'Athénaïs, remontant de l'arrière de sa cheville jusqu'à sa cuisse. L'envie de glisser sa main le long de cette ligne, voire plus haut, le gagna. Dans un monde parallèle, elle enroulerait ses jambes autour de lui et... Stop ! Décidément, il avait beau la trouver froide, son allure continuait à attiser un désir pas tout à fait éteint, et pourtant voué à ne jamais être assouvi. Il devait prendre son mal en patience, se rassura-t-il : il arriverait bien un moment où, lassé, son esprit la laisserait tomber.

" Non. "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant