Chapitre 33

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A la table du petit-déjeuner qui était compris dans la réservation qu'ils avait effectuée, l'ambiance était légèrement pesante. Athénaïs tentait de donner le change mais l'humeur morne de Ken rendait vains ses efforts pour égayer l'atmosphère.

Mamadou les considérait tour à tour. A voir l'état dans lequel il l'avait retrouvé la veille, il avait vite deviné qu'un problème était survenu et qu'Athénaïs avait une nouvelle fois brisé le coeur de son ami. Ken n'avait pas eu envie d'en discuter. Il s'était contenté d'un « C'est terminé, c'est bon, j'arrête avec Say'. ». Quand il lui avait proposé un joint, son acolyte de toujours avait avisé la tige roulée un long instant. Mamadou ne l'avait jamais vu aussi bouleversé. Puis il avait porté le joint à sa bouche, l'avait allumé et l'avait fumé.

Quand ils terminèrent leur repas, ils remontèrent dans la chambre des garçons. Mamadou passa dans la chambre d'Athénaïs pour appeler Adèle avant qu'ils ne partissent en vadrouille à travers la ville. Cela rappela à Ken sa mère. Elle allait sûrement lui passer un coup de fil à propos de cette histoire débile de paroles de chanson. « J'aurais jamais dû écrire sur ce son. » se prit-il à penser. Il décida de devancer le moment pénible où il aurait à se justifier auprès de la femme qu'il craignait le plus au monde et envoya un message sur le groupe de discussion privée qu'il partageait avec sa famille.

Le coup ne rata pas car son téléphone vibra aussitôt avec la mention « Maman » notée sur l'écran allumé.

« Allô Maman ?... »

Sa mère ne lui laissa pas en placer une, enchaînant les phrases assassines dans un flot au débit prodigieux. Il tenait bien d'elle sur ce plan là. Son père, lui, était peu loquace.

Une demi-heure durant, il subit l'expression de toutes les craintes de sa mère et ses mises en garde. Il s'employa à la rassurer bien qu'il ne fût pas convaincu lui-même de ses propres mots de réconfort.

« J'espère que tu dis vrai, finit-elle par déclarer.

— T'inquiète, Maman, il y a trois fois rien, là.

— Franchement, tu devrais réfléchir à ce que je t'ai dit. Tu n'as plus seize ans, Ken. Tu as trente ans, maintenant. Je ne te dis pas d'arrêter complètement mais...

— Je sais mais le rap, c'est encore ce que je sais faire de mieux et ce pourquoi les gens me reconnaissent.

— Tu te trompes ! Tu sais tout faire : même des films, tu sais faire !

— Je ne peux pas tout lâcher comme ça, Maman. Mais je te promets, je ferai plus attention. »

La discussion se poursuivit quelques minutes puis Ken raccrocha, non sans un profond soupir. Au moins, cette discussion désagréable était passée.

Sa mère avait peur pour lui et souhaitait qu'il suspendît sa carrière. Seulement, elle ne saisissait pas que tout ce qu'il était aujourd'hui était rattaché à cette carrière de rappeur qu'il avait bâtie de ses propres mains. Tout détruire était inenvisageable.

Il sentit une main se poser délicatement sur son épaule gauche. Quand il tourna son visage vers elle, il croisa son regard compatissant qui l'horripila. Le courroux dut se lire dans ses yeux car Athénaïs retira sa main. Elle ouvrit la bouche comme pour lui parler mais se ravisa. Elle baissa la tête puis abandonna tout à fait : elle s'éloigna et s'assit sur le bord du lit, dos à lui.

Finalement, après quelques secondes d'entêtement, le coeur de Ken se serra. Athénaïs n'avait pas tort : il se comportait de manière infecte avec elle, alors qu'au fond, elle voulait juste l'aider malgré sa maladresse. Maintenant qu'elle le fuyait, il aurait bien aimé qu'elle l'enlaçât.

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