Chapitre 11

1K 42 1
                                    

Après l'effort, le réconfort. Ils avaient passé trois heures au studio pour peaufiner le nouvel hymne des Enfoirés. Pour des gens pas impliqués dans le délire de chanter les tubes des uns et des autres pour les Restos, ils s'étaient vraiment appliqués. Mikaël, Mohamed, Ken, Pauline, Marguerite et Athénaïs avaient atterri dans un kebab et se motivèrent pour sortir un peu. On était samedi soir, c'était l'occasion de fêter la réussite de la mission d'envergure nationale d'Athénaïs et le week-end. Direction le bar-boîte hip-hop le plus proche ! s'écria Marguerite tandis que Mikaël essayait de recruter Alpha et Mamadou dans la bande. Théo les avait lâchement abandonnés après la prise de son en studio et s'était pris des remarques sur la « vie de moine » dans laquelle il s'était « reclus ». Comme à son habitude, il s'était défendu en riant en évoquant sa femme.

« Dis -lui qu'on te surveille ! lui lança-t-on.

– A mon avis, je crois plutôt que ta femme a bon dos, fit Athénaïs, taquine.

– Ouais, j'avoue ! Tu veux pas traîner avec nous ! s'écria Marguerite.

– On n'est pas assez posés pour toi, papy ?

– Eh, Deen, c'est toi l'ancêtre, ici, hein ! »

Les vannes bon enfant avaient fusé puis Théo s'en était allé.

« Ah, ça ne me donne pas envie de me poser, ça ! » fit Mikaël en le regardant s'éloigner.

Pauline lui jeta un regard éloquent alors que Marguerite s'employa à l'embêter :

« Ah, tiens ! Ca bave sur ses potes quand ils ont le dos tourné !

– Mais non, je dis juste que je n'ai pas envie de me poser, c'est tout !

– Ca fait le dur mais en vrai, ça veut une p'tite go qui lui fait la cuisine le soir...

– Tsss, persifla Mikaël, sans pour autant nier.

– Vous êtes tous pareils ! décréta Marguerite, d'une voix moqueuse. N'est-ce pas, Mo', que tu aimerais bien une petite femme pour te faire à manger ?

– Bah j'avoue que la cuisine, c'est important...

– Tu dis ça, Margue, mais 2zer sait cuisiner, intervint Ken.

– Ah bon, fit Athénaïs. Sa femme a bien de la chance !...

– Tu cuisines, toi, Say' ? s'enquit Deen.

– Non, je cherche un gars qui saura faire. »

  Mikaël s'esclaffa de rire :

« Bon courage !

– Oh mais j'en ai déjà trouvé plusieurs ! le contredit Athénaïs, narquoise.

– Certains cachent bien leur jeu, fit Pauline, amusée par la conversation. Et toi, Ken, je suis sûre que tu sais un peu. »

Non, je ne crois pas non, pensa Athénaïs, se remémorant les placards vides du jeune homme qui esquissait un sourire.

« Quand je n'ai pas la flemme, je peux te sortir des trucs sympas.

– Ah ! Il faut que tu nous fasses ça ! s'exclama Pauline enthousiaste.

– Mais genre, le mec, il fait la cuisine ! Y'a jamais rien à graille chez toi, ouais ! » s'exclama Mikaël.

Athénaïs ne put retenir un rire. Ken détourna le regard, quelque peu agacé par l'hilarité de la jeune femme.

« Ca ne change rien : vous ne mangez pas ce que je bouffe, de toute façon !

– Si, vas-y, prochaine fois, on squatte chez toi ! »

Athénaïs regarda Pauline du coin de l'oeil. La pétillante brune aux yeux bleus faisait secouer sa queue-de-cheval d'un air candide. Athénaïs ne savait pas pourquoi mais l'entrain innocent de son amie, pour une fois, ne l'amusait guère. Elle perçut le sourire de Ken à l'encontre de Pauline, ce qui l'horripila davantage. « Mais enfin, Athé', pourquoi réagis-tu de la sorte ? » se réprimanda-t-elle intérieurement. Ken n'était pas du tout son type. Il valait mieux pour eux deux qu'il se détournât d'elle, alors pourquoi était-elle... jalouse ? « Ton ego, ton ego... » se répéta-t-elle. Elle n'était pas le centre du monde. Si une personne lui était destinée quelque part, et que celle-ci n'était pas Ken, il était normal de voir ce dernier s'intéresser à d'autres. Et puis elle lui avait dit non, bon sang !

« Tu vas être déçue, Pau' ! » lança Mikaël, sur le ton de la blague.

L'interpellée lui retourna un regard faussement dédaigneux mais ce fut Marguerite qui lui rétorqua un joyeux « Oh ! T'es jaloux, papy ? ». Les deux s'envoyèrent quelques piques, tout en avançant vers la boîte où tous comptaient passer la soirée.

Comme tous les samedis, l'endroit était bondé. Ils passèrent facilement les vigiles, étant habitués du lieu. Ils y retrouvèrent les frères Akrour déjà présents. Les filles ne tardèrent pas à se ruer sur la piste tandis que les garçons s'occupèrent plutôt à s'alcooliser le plus possible. Athénaïs essaya d'évacuer le trouble qui l'habitait. Il lui suffisait danser pour oublier. Oublier Ken. Oublier Thibault. Oublier Hary. Oublier. La mélodie résonnant son cerveau, son corps ondulait, ses lèvres remuaient en paroles qu'elle hurlait sans même être entendue. Elle laissait le rythme la transporter. L'enivrer.

Noyée dans le bruit environnant, Athénaïs n'était plus que musique. L'esprit embrumé, Ken la regardait sans aucune pudeur. Il avait remarqué son silence sur la route, son visage pensif, presque contrarié. Pensait-elle encore autant à Thibault ? Ses yeux étaient quasiment fermés alors qu'elle dansait. Elle semblait en transe. Etait-elle aussi aérienne quand elle faisait l'amour ? « Faut que j'arrête.... » marmonna-t-il. Il se retourna vers ses amis que quelques filles avaient rejoints. Certaines l'épiaient du regard mais n'osaient pas approcher. Effectivement, son attitude un peu fermée et distraite alors qu'il observait Athénaïs ne leur laissait que peu de marge de manoeuvre. Malgré tout, l'une d'elles risqua un clin d'oeil auquel il répondit par un petit sourire avant de reporter son attention sur la piste où se pressait la foule. Il ne dansait jamais. Il n'aimait pas les bousculades et il ne connaissait aucun mouvement de danse potable. Il se sentait ridicule alors il évitait. Mais de voir son Athénaïs au coeur de glace s'abandonner de la sorte l'embrasait. Elle enflammait le dancefloor et de voir les autre mâles la mater de la même manière dont il la matait le mettait presque hors de lui. Il se leva d'un bond, ce qui surprit Mohamed qui haussa un sourcil.

« Eh gros, il t'arrive quoi ? » lui cria le Maghrébin.

Mais son ami ne l'entendit pas. D'un pas décidé, il fendit la masse de gens devant lui jusqu'à atteindre sa cible et la contourner pour se poster derrière elle. Il ne vit ni Marguerite, ni Pauline. Il ne voyait qu'elle. Il passa un bras autour de la taille de la jeune femme qui tourna vivement la tête. A quelques millimètres l'un de l'autre, leurs visages faillirent se toucher. Le temps parut s'arrêter un court instant. Ils étaient si proches qu'ils pouvaient sentir la chaleur de leurs deux souffles respectifs. Comme paralysés par la tension qui régnait entre eux, ils restaient immobiles, à se contempler. Sans vouloir réfléchir plus longtemps, Ken avança. Ses lèvres eurent juste le temps d'effleurer celles d'Athénaïs avant qu'elle ne réagît en reculant de façon imperceptible. Ken fronça un sourcil et insista, mais elle l'évita à nouveau. Alors, pris d'une rage subite, il la relâcha violemment et repartit furieusement hors de la piste.

Ebahie, Athénaïs resta les bras ballants, les yeux hagards dans la direction qu'avait prise Ken. Son cerveau était court-circuité par les battements assourdissants de son coeur. Puis brusquement, quelqu'un lui tira le bras. C'était Marguerite.

« Il se passe quoi, là ? »

Elle l'entendit à peine. Son coeur continuait à tambouriner de plus en plus fort alors qu'une sensation de sueur froide traversait comme un éclair l'ensemble de son corps.

« Say' ? Saya ! »

Le regard vide, Athénaïs tourna enfin la tête vers ses amies. Elle la secoua négativement pour signifier qu'il n'y avait rien. Evidemment, Marguerite et Pauline ne la crurent pas du tout mais la voyant aussi choquée qu'elles-mêmes, elles laissèrent tomber, perplexes. Athénaïs leur en sut gré et se remit à danser comme si de rien n'était, sous l'air suspicieux de ses amies, qui finirent toutefois par l'imiter.

Soulagée d'avoir pu donner le change, Athénaïs tout en dansant, réfléchissait. Inutile de se voiler la face : elle était très attirée par Ken. Mais cela ne changeait rien à la donne. Il n'était pas du tout le genre de gars avec qui elle pouvait s'accorder sur le long-terme. Elle devait tuer cette attirance dans l'oeuf. Ce soir ou demain, elle porterait le coup de grâce.

" Non. "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant