Chapitre 14

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« Oh tu sais, ce n'est pas pressé mais c'est toujours mieux de prendre de l'avance. Ce sera déjà ça de fait. »

L'homme devant elle piqua dans son morceau de boeuf assaisonné à la sauce au poivre. Elle avait pris un tataki de thon, fidèle à ses goûts pour la cuisine japonaise.

« Sinon, tu viens d'où ? As-tu toujours été de Paris ?

– Non, je viens de Lille.

– Ah ! une Ch'ti !

– Oui, bon, en vingt-cinq ans, je n'ai jamais su le parler. »

Pascal éclata de rire.

« Moi, je viens de Bordeaux.

– Ah, c'est vous qui trouvez la chocolatine gavé cool !

– C'est cela !

– Je suis déjà passée là-bas, c'est vraiment beau. Il y fait très beau aussi, d'ailleurs.

– Mmh...Pas toujours, mais c'est sûr qu'un peu de soleil, ça a dû te changer, pas vrai ? »

Athénaïs réprima un sourire.

« Oh ! On ne se moque pas !

– Je ne me moque pas ! » se récria Pascal, non sans éclater de rire.

Athénaïs le rejoignit dans son hilarité. Finalement, Pascal Obispo était plutôt sympa. Elle l'avait toujours vu comme un homme un poil prétentieux. Il n'en était rien. Au contraire, il avait l'air d'un homme jovial, qui s'intéressait aux gens qu'il rencontrait. En revanche, son charisme était tel qu'elle l'avait pressenti : immense. Même si l'homme chauve aux sourcils épais noirs s'employait à la mettre à l'aise, elle restait intimidée par le personnage qu'il incarnait.

« Donc tu me dis que tu as toujours vécu avec la musique, explique-moi ça. »

Athénaïs lui narra son parcours musical, de ses cours au conservatoire au vol des CDs inécoutés de son père, ce qui fit beaucoup rire Pascal, en passant par son premier contact avec le rap qu'elle avait détesté au prime abord.

« Tu détestais le rap ?! s'ébahit Pascal.

– Ah oui ! Pour moi, c'était du bruit. Puis j'ai eu ma révélation avec les Black Eyed Peas qui, d'ailleurs m'influencent toujours beaucoup.

– Pourquoi ?

– Parce que sur l'album par lequel je les ai découverts, ils touchaient à plusieurs styles musicaux. Leurs instrumentaux étaient très variés. Ca m'a fait changer d'avis. En plus, je les ai découverts avec Where is the love ? qui voulait dire quelque chose d'important. Et puis surtout, le refrain était chanté par Justin Timberlake et ça... C'était un argument très fort. »

Le ton pince-sans-rire d'Athénaïs sur cette dernière phrase acheva de convaincre Pascal Obispo : c'était une jeune femme extrêmement intéressante, au potentiel dont il ne connaissait pas encore l'étendue. En quelques petites phrases, elle avait montré une très bonne culture musicale  populaire des dernières décennies, bien que plutôt axée américaine, et il sentait qu'il n'entrevoyait que la pointe de l'iceberg.

« Dis-moi, je me posais la question : qu'est-ce qui vous a fait penser à moi pour la chanson de cette année ?

– En fait, c'est Soprano qui t'a proposée. Il m'a suggéré d'écouter certaines de tes chansons en me disant que tu aimais bien mêler le classique avec de vrais instruments et le moderne. »

Saïd ? Athénaïs sourit. Elle le gronderait et le remercierait par message, une fois rentrée.

« Alors tu sais, moi, je suis fan de comédies musicales, poursuivit Pascal, j'en ai créées pas mal, d'ailleurs. Donc tu devines : ça m'a vivement intéressé. J'en ai parlé à Michaël et puis on t'a contactée. »

Il fut amusé en voyant l'air heureux qu'arborait son interlocutrice et le mal avec lequel elle tentait de le dissimuler. Vraiment intéressante.

Il profita d'un moment de silence pour la détailler un peu mieux. Une veste bleu marine sur un haut fluide blanc. Des cheveux longs noirs épais. Un maquillage léger sur une peau mate. En tapant son pseudonyme sur Google, il était tombé sur quelques articles à propos de son statut controversé dans le monde du rap mais aussi sur plusieurs rumeurs relatant de soit-disantes relations avec certains rappeurs.

Maintenant qu'elle se tenait face à lui, il ne pouvait que constater que Sayanah n'avait rien d'une aguicheuse ou d'une femme fatale. Elle aurait très bien pu l'être, pourtant, ressentait l'homme sans pouvoir s'expliquer pourquoi. Pas étonnant que les magazines se répandissent en fausses informations : elle était un peu un OVNI dans le milieu urbain, elle était belle et les rappeurs masculins, malgré leur apparente réticence, demandaient à collaborer avec elle, ce qui expliquait leurs entrevues, que demandaient-ils de plus ? Néanmoins, elle dégageait plutôt l'aura d'une personne à l'intelligence affûtée, plutôt que celle d'une séductrice hors-pair. Enfin, l'un n'empêchait pas l'autre, après tout.

Le déjeuner s'étira alors qu'ils parlaient de tout et de rien. Finalement, Pascal Obispo demanda l'addition. Il insista pour payer l'ensemble du repas. Devant l'air gêné d'Athénaïs, il sourit avec affection :

« Tu auras tout le loisir de m'inviter quand tu seras connue du grand public.

– On espère qu'au moins la chanson plaira, déjà.

– C'est une affaire qui marche, ça, Athénaïs. Mais tu as raison : une chose à la fois. »

Humble, avec ça ! Comment une jeune femme aussi délicieuse pouvait-elle rester célibataire ? Elle ne le serait peut-être plus pour longtemps, tempéra mentalement l'homme.

Athénaïs avait remarqué les yeux scrutateurs de son interlocuteur et s'efforçait de ne pas s'en formaliser. Elle ne savait qu'en penser mais elle ne préférait pas aller trop loin dans ses suppositions. Ses yeux très noirs la dévoraient littéralement, comme s'il souhaitait percer ses secrets les plus profonds. Il lui rappelait le regard d'un autre. Un autre qui, à la première rencontre, avait failli la faire vaciller dans son engagement avec son petit ami d'alors. Un minuscule sourire vint marquer le coin de ses lèvres à ce souvenir.

« Tu souris, fit remarquer Pascal.

– Espérons que ce soit comme tu dis. Le but, c'est que ça serve l'association. »

Ils se levèrent pour quitter le restaurant. Le pallier de la porte passé, Pascal mit ses lunettes de soleil. Les deux musiciens se dirent alors au revoir. Alors qu'il allait s'engouffrer dans son véhicule Pascal regarda Athénaïs s'éloigner à pied.

« Athénaïs, veux-tu que je t'avance quelque part ?

– Euh... eh bien... Tu passes par la gare Saint-Lazare ?

– Oui, c'est sur mon chemin. »

Athénaïs accepta alors l'offre de son nouvel ami. Ce dernier l'emmena à bon port et la salua à nouveau.

« Bon, de toute façon, on se revoit bientôt ! fit-il, avec assurance.

– Oui. » acquiesça Athénaïs, avec un peu moins de conviction, néanmoins.

Et sa thèse dans tout ça ?

« A la prochaine ! »

Dans le train qui l'amenait à Courbevoie, une sensation d'oppression saisit Athénaïs qui entreprit quelques exercices de respiration discrets afin de calmer la légère anxiété qui la prenait. Le casse-tête commençait. Elle avait beau l'avoir prévu de longue date mais concilier ses deux vies lui semblait tenir des travaux de Hercule. « Seigneur, aide-moi. » pria-t-elle silencieusement. Pourtant, elle était consciente qu'elle s'était placée elle-même dans ce pêle-mêle de dates et d'échéances. « Prenons cela pour un challenge. Ca ira. Toujours rester positive. Tu as déjà fait pire. » se rassura-t-elle. Elle s'adossa tout à fait à son siège et chercha à se concentrer sur le paysage de Paris qui défilait rapidement sous yeux. C'était juste un peu d'organisation. Si elle arrivait à passer les répétitions avec les Enfoirés, c'était gagné.

" Non. "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant