" Non. "

Chapitre 10

« Oh Thou, oh Lord, are a shield for me ! My glory and the lifter of my head... »

Depuis vingt-et-une heures trente, Athénaïs repassait « Thou, oh Lord » du groupe Brooklyn Tabernacle Choir en boucle dans le studio. Elle s'était arrangé avec Marc, l'autre ingénieur du son afin de le garder pour la nuit. En effet, elle n'avait pas beaucoup de temps devant elle et elle ne pouvait pas s'enregistrer jusqu'à une heure trop avancée dans son appartement, même si ses voisins faisaient au moins autant de bruit qu'elle le soir.

Par mesure de sécurité, elle ne s'était pas installée dans la salle d'enregistrement au deuxième sous-sol où le réseau ne passait pas. Elle avait simplement pris son propre matériel et décidé de se mettre au niveau de la console, au -1.

Seule, elle reprenait l'ensemble des voix et l'instrumental et l'analysait afin de pouvoir s'en imprégner. On lui venait de lui passer une grosse commande : l'hymne des Enfoirés de l'année suivante. Elle ne faisait pas partie du collectif de ces artistes qui servaient la cause des SDF et autres personnes en difficulté ; toutefois, comme beaucoup qui ne participaient à ce groupe, elle reconnaissait la noblesse de cette démarche, d'où sa réponse positive à la demande de Michaël Youn et de Pascal Obispo.

C'était un véritable défi mais elle était aux anges, quelque part. C'était lui accorder une grande confiance et un crédit certain dans le monde de la musique que de faire appel à elle, pour un tel projet. Elle aurait sûrement besoin de l'aide de ses comparses du crew pour les paroles et également pour ajouter un son plus urbain et actuel à la base gospel qu'elle pensait composer. C'était un risque car elle savait que ce n'était pas vraiment ce à quoi s'attendaient ses commanditaires. Elle n'avait jamais joué la carte gospel dans ses chansons, le genre et ses codes étant très lourds de sens pour elle. Mais la cause portée par les Restos du coeur valait bien qu'elle en usât.

Il était donc minuit. Elle en avait bientôt fini avec le choeur. Sa voix commençait à s'érailler. Elle s'affala sur le canapé noir du fond de la salle, fatiguée. Et elle devait tenir toute la nuit ! « Un peu ambitieux, Athé'. » songea-t-elle. En même temps, la fin de son cinquième semestre d'internat de médecine en mai annonçait la préparation active de sa thèse prochaine. Elle n'aurait plus le temps de se consacrer à un projet aussi grand avant un an. Elle avait donc un mois devant elle ; et depuis qu'elle gérait deux carrière en même temps, elle avait appris que chaque seconde était précieuse. Elle repensa alors à Thibault. Un sourire narquois naquit sur ses lèvres. S'ils étaient encore ensemble, il n'aurait pas supporté le rythme que sa vie avait pris depuis quelques semaines. Dieu faisait bien les choses, finalement.

Son portable vibra dans sa poche. A cette heure-ci, ce devait être Marguerite qui l'invitait à une soirée. Elle allait devoir utiliser tout son argumentaire pour refuser. Elle consulta son téléphone. Ken ? Son coeur fit un léger bond dans sa poitrine, ce qui la fit tressaillir : elle n'était pas censée réagir devant un message de lui. Elle se rassura aussitôt : ils ne s'étaient pas parlé depuis quelques temps, c'était pour ça. Elle lui avait laissé digérer son refus de se mettre avec lui, et ils s'étaient un peu éloignés. Cela lui faisait plaisir qu'il eût le courage de revenir vers elle, en tant qu'ami cette fois. C'était tout.

« Yo, Saya' , ça fait un bail ! Askip, t'es au stud' en mode seul-toute ? »

« Yep, je fais une pause. »

« Vas-y, je viens. »

Il ne lui demandait même pas son avis, releva Athénaïs, amusée.

« A moins que tu préfères être au calme ? »

« Non, non. »

Un sourire vint étirer la bouche de la jeune femme avant qu'elle ne le remarquât et effaçât toute marque de joie sur son visage. Non, elle n'était pas contente qu'il lui courût encore après. Ce n'était pas ça du tout.