Chapitre 9

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Les jours suivants, Athénaïs s'étonna quelque peu de ne plus avoir de sollicitations de la part de Ken. D'habitude, elle avait beau leur dire non, ils s'accrochaient comme des moules à leur rocher. C'était tant mieux, d'un côté : il avait vraiment compris le message. De l'autre, cependant, cet abandon subit entama légèrement son ego.

Devant son IRM à interpréter, la jeune femme haussa des épaules. Elle avait trop de choses à faire pour s'en soucier. Elle ne souhaitait pas sortir avec Ken, au fond. Pourquoi insister à se convaincre du contraire ? Elle fit défiler l'examen devant ses yeux pour analyser de manière plus fine le cerveau qui s'affichait sur son écran. Elle grimaça devant ce qu'elle vit : elle devait appeler Charlotte, l'interne des urgences qui lui avait envoyé la patiente qui souffrait de vue double sans régression depuis deux heures.

« T'as trouvé quelque chose, Athé' ? l'apostropha son amie, de sa voix fluette et aiguë.

– AVC hémorragique du tronc vertébro-basilaire chez Madame T***. »

Athénaïs entendit Charlotte jurer à l'autre bout du fil. C'était étonnant comme une si petite voix pouvait sortir des termes aussi vulgaires.

« OK, merci. »

Et elle coupa. Athénaïs imagina le pic d'adrénaline qui devait animer Charlotte en ce moment-même. Sa collègue, aussi blonde aux yeux bleus qu'elle était brune aux yeux noirs, vivait pour l'action et la médecine ; c'est pourquoi elle avait choisi de devenir urgentiste. Elle n'avait pas compris comment on pouvait souhaiter pour sa vie de rester devant un ordinateur à « regarder des images », comme elle aimait le dépeindre quand elle voulait embêter Athénaïs. Quand cette dernière lui avait fait part de son emploi du temps très rempli, elle avait hoché de la tête en disant : « En fait, tu ne sais pas ce que tu veux, mais tu le fais bien. »

Il fallait croire que son diagnostic s'appliquait à tous les domaines de sa vie. Elle voulait que les gars lui courussent après tout en leur imposant de sévères râteaux. Et elle y parvenait sans trop de mal... « Mais surtout avec les gars qui ne me plaisent pas ! » soupira-t-elle.

Ken était un très gentil garçon, humble et serviable. Mais il manquait ce côté « bon genre » qui lui plaisait tant chez Thibault ou Hary. Cette part de rudesse en lui n'était pas quelque chose qu'elle pourrait assumer à long terme, elle qui était beaucoup plus habituée aux restaurants chics qu'aux kebabs du chef du coin. De plus, ses parents étaient très conservateurs ; comment leur présenter sérieusement un homme qui vivotait au jour le jour, faisant du fait de débiter des grossièretés en public son art ?

« Mais toi aussi, tu rappes. » lui souffla sa conscience.

Oui, mais elle racontait des histoires plus qu'elle ne dénonçait la société. Chacun pouvait y voir sa propre morale, elle n'imposait pas de conclusion évidente. D'ailleurs, elle s'amusait de voir les interprétations que ses fans faisaient de ses chansons, qui lui trouvaient souvent un esprit beaucoup plus élevé qu'en réalité. C'était ce manque de prise de position que ses détracteurs critiquaient le plus. A plus y réfléchir, cette indécision allait sûrement beaucoup lui coûter, un jour. Mais elle n'y pouvait rien : c'était dans sa nature de peser le pour et le contre et ne jamais trancher, vraiment.

C'était vrai : elle ne savait pas ce qu'elle voulait, et pour l'instant ça marchait. Autant en profiter le plus longtemps possible.

*

Il avait beau dire qu'il la nextait, enlever ses chansons de son portable et la fuir, il pensait encore beaucoup à elle. Ken coinça ses écouteurs dans ses oreilles et démarra le tapis roulant sur lequel il se mit à courir sur une playlist pop dance destiné à le motiver.

Ce qui l'ennuyait au plus haut point, c'était l'image qu'elle avait de lui. Etait-ce réellement l'impression qu'il renvoyait : d'être un queutard et rien de plus ? Ses ex lui avaient toutes reproché de trop jouer le beau gosse, d'avoir des fans envahissantes, de trop tordre le contrat de confiance qui le liait à elles. Mais Athénaïs était censée mieux le connaître, baignant dans le même milieu que lui. Si pour lui, les fans étaient prêtes à faire des kilomètres pour se retrouver dans son quartier ; elle, c'étaient les propositions de tous les autres rappeurs qui fusaient sur son portable, celui de son agent et leurs boîtes mails.

Depuis un an et demi, Athénaïs faisait donc face à cette rumeur tenace selon laquelle elle se taperait tour à tour tous les gars du rap game. Et quelquefois, quand ils en croisaient à certains évènements musicaux, les regards de quelques-uns ne trompaient pas sur la nature de la collaboration qu'ils tentaient d'établir avec la jeune femme au hâle brun doré et aux yeux revolvers. C'était à se demander pourquoi ! D'eux deux, qui était le plus queutard, alors ? songea un Ken suant, sans se questionner sur son niveau de mauvaise foi.

Du coin de l'oeil, il entrevit Mohamed se placer sur la machine située juste à côté de lui. L'été allait arriver. Après deux mois de flemmardise, ils s'étaient enfin ressaisis sur le plan sportif. Ils s'étaient tellement musclés au cours de l'année précédente que s'ils avaient laissé passer plus de temps, leur masse musculaire si durement acquise se serait transformée en masse de graisse plus difficile à éliminer qu'auparavant. Avec Mohamed, Théo et Mikaël, ils s'étaient donc donné rendez-vous en salle de sport pour se donner du courage, chacun à son rythme. Comme toujours, Théo y allait en douceur, Mikaël chopait les numéros, Mohamed se surpassait et lui essayait à chaque enjambée d'évacuer un peu plus cette frustration dans laquelle il marinait depuis quelques jours. Depuis son râteau.

Il lui ferait regretter ce refus impardonnable, pensa-t-il alors qu'il commençait à s'essouffler. Elle lui courrait après et il lui en ferait baver. Elle finirait par crever d'envie d'être avec lui comme toutes ces fans qui rôdaient en bas de chez lui ; et quand elle n'en pourrait plus, enfin il la soulagerait. A l'idée de la manière dont il s'y prendrait pour ce faire, un flux de dopamine traversa son corps entier. A nous deux, Sayanah, se galvanisa-t-il alors que le tapis de course lui faisait atteindre la vitesse maximale. Le jeu ne faisait que commencer !

" Non. "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant