" Non. "

Chapitre 32

Le lendemain matin, Athénaïs s'était levée de bonne heure pour travailler quelques instrumentaux sur son ordinateur. Assise sur un des sièges de bar qui encadraient la haute table de la cuisine américaine, elle profitait du soleil matinal qui frappait les fenêtres et baignait la pièce de ses rayons étincelants.

Ken sortit de sa chambre pour prendre sa douche et l'ayant aperçue, l'observa un furtif instant dans ce halo de lumière, casque sur les oreilles, concentrée comme elle l'était toujours. Quelle serait sa vie s'il se réveillait à cette première vision, tous les matins ? se surprit-il à imaginer.

Elle perçut sa présence et le salua avec un sourire amical, comme s'il ne subsistait aucune trace de la conversation de la veille. Surpris par ce détachement, il lui retourna son salut avec un peu plus de réserve. Elle avait certainement l'intention d'oublier l'épisode d'hier soir, induisit-il, le coeur un peu serré, une fois la porte de la salle de bains refermée derrière lui. Qu'aurait-il pu attendre de mieux d'elle ? Il rêvait vraiment trop fort.

Quand il eut fini de se préparer, Ken retrouva Athénaïs à la cuisine.

« T'as mangé ? s'enquit-il, à l'adresse de son amie toujours perchée sur son siège.

— Vite fait. Je ne savais pas si vous alliez vous lever tôt ou pas, j'ai mangé léger.

— T'as avalé ton éternel bol de lait avec tes céréales, c'est ça ?

— C'est ça ! » reconnut Athénaïs en gloussant.

Leurs regards complices se croisèrent puis se détournèrent.

« A propos d'hier... commença Ken. J'aimerais, si c'est possible, que ça ne change pas trop notre relation, du moins pour cette semaine. Sinon, ça va être long.

— Oui, approuva Athénaïs. T'inquiète. »

A Paris, ils aviseraient, mais pour le moment, il voulait juste profiter de ces potentiellement derniers instants de véritable amitié avec elle.

« Tu bosses sur quoi ? la questionna-t-il pour changer de sujet.

— Je ne sais pas vraiment... J'avais une mélodie dans la tête. J'essaie de la développer pour le moment.

— Tu ne cesseras jamais de m'impressionner.

— Ah, chacun ses talents ! Je ne sais pas écrire comme tu le fais.

— Tu écris très bien aussi, je trouve.

— Mais pas autant que toi ! » appuya Athénaïs, gaiement.

Rester au stade d'amis serait plus compliqué que prévu si elle restait aussi adorable. Ken baissa les yeux pour fuir ces yeux admiratifs qui le déstabilisaient tant. Ce regard lui avait tellement manqué ces derniers mois ; il avait oublié la sensation de toute-puissance qu'il lui conférait. « 'tain, mec, tu deviens vraiment accro. » constata-t-il alors qu'il se dirigeait vers le réfrigérateur. « Encore un peu et tu l'épouserais sur-le-champ. »

De son côté, Athénaïs détailla un court moment les épaules de Ken qui était dos à elle. Elle n'était pas du tout du genre à s'attarder sur le physique de ses amis mais Ken faisait vraiment exception. Ce qu'elle préférait, c'était quand ses bras se refermaient sur elle, autour de sa taille. Elle se sentait alors tant en sécurité qu'elle ne voulait plus quitter son étreinte. Mais elle devait à tout prix s'empêcher de se servir de Ken comme d'une béquille.

Après avoir attrapé un bout de fromage, ses biscottes bio et activé la machine à café, il s'assit à côté d'elle et mangea ce qui lui faisait office de petit-déjeuner.

« On fait quoi aujourd'hui ? s'enquit Athénaïs, le nez de retour dans sa partition.

— Ce que tu veux. Nous, avec Doum's, on connaît L.A., déjà.

— Oui, mais quelque part, c'est pas drôle. Je suis la seule à m'émerveiller de tout. Vous ne découvrez plus rien ! »

Ken éclata de rire.

« T'inquiète pas pour nous, on aime bien revisiter les classiques !

— Oui, mais bon... »

Athénaïs fit la moue.

« En fait, je pensais à un truc... On n'est pas si loin que ça en voiture de Vegas.

— Ah mais finalement, c'est que tu y tiens à cette idée de mariage ! »

Elle pouffa.

« Je n'ai pas envie d'un mariage du tout mais je me disais que ce serait marrant d'y faire un tour si vous n'y étiez jamais allé.

— Pourquoi pas ? Après, Vegas, c'est surfait quand même, mais pourquoi pas ? Faudrait voir ça avec Doum's.

— Ca n'a pas l'air de t'emballer des masses.

— Tout ce qui est démesuré ne m'attire pas forcément, en fait.

— Ah d'accord... Bon, on laisse tomber l'idée alors.

— Non, non, on peut en parler à Doum's, si tu veux. Je crois que ça lui plairait.

— Oui, mais ce n'est pas drôle si ça ne t'amuse pas.

— Bah après, faire la route en voiture, ça peut être sympa. »

Athénaïs esquissa une mine un peu déçue.

« Ouais, non, laisse tomber. J'irai une autre fois.

— Quand ? »

Elle haussa légèrement des épaules.

« Je vais finir par revenir dans cette partie du monde, j'espère !

— Bon, OK, on n'a qu'à y aller.

— Mais non ! Ca y est, mince : tu te sens forcé.

— Pas du tout ! Vas-y, on y va ! Ce sera marrant ! »

Athénaïs se mit à rire.

« Y'a à peine dix secondes, tu disais le contraire ! railla-t-elle

— Non mais tu as raison, en fait. Je ne vais jamais visiter Vegas si les gens ne sont pas chauds autour de moi, et en général, quand je viens sur L.A. c'est pour rester sur L.A. Mais c'est un truc à voir, Vegas !...

— Tu me convaincs à peine !

— ... En plus, c'est la route 66 qui va de L.A. à Vegas, non ? rebondit-il.

— Tu peux en faire un bout, ouaip'.

— Alors, allons-y ! »

Elle haussa un sourcil en se demandant si Ken n'était pas juste en train feindre un quelconque intérêt pour son projet. Apercevant son air incrédule, ce dernier sourit d'un air malicieux.

« T'attends quoi pour faire ton sac ?

— Quoi, maintenant ?

— Bah ouais !

— Je pensais plutôt...

— Ah, si tu veux me traîner là-bas, on part maintenant sinon je vais me démotiver ! »

La jeune femme eut un éclat de rire.

« T'es sérieux ?

— Vas-y, on réveille Doum's, on part direct !

— Mais on n'a rien réser...

— On s'en fout, on fera ça en chemin ! »

Cet homme était-il en train de se payer sa tête ? pensa Athénaïs, hilare. Mais qu'importait ! Elle était en train de se prendre au jeu... et elle ne perdrait pas !

« OK ! »

Ken lui lança un regard mi-surpris, mi-égayé. Elle lui répondit par un regard plein de défi, ce qui élargit le sourire de l'homme.

« Parfait. » fit-il simplement.

Mademoiselle Athénaïs voulait s'amuser, semblait-il ! Ce voyage improvisé à Las Vegas pouvait s'avérer être drôlement sympathique, tout compte fait... !