" Non. "

Chapitre 20 (3)

Bouffer, baiser, dormir. Et fumer. C'était à peu près le rythme que suivait le quotidien de Ken. L'horloge biologique complètement détraquée, ce dernier comatait en plein après-midi, chez lui, assis par terre, tête appuyée contre le bord du canapé. Les yeux secs, il survolait sa liste de contacts. Qui allait-il bien pouvoir appeler ce soir ? Léa 2 ? Aline 1 ? Anaïs 3 ?... Kim Jolies jambes ? Après quelques minutes de réflexion — qui lui parurent comme des secondes — il appela.

« Hey, salut Beauté... Ca fait un bail qu'on s'est pas vus, ça te dit qu'on passe un moment ensemble ?... Genre, on chille tranquillement quoi, comme d'hab' ?... Quoi, maintenant ? Euh... bah... écoute, ouais, je suis chez moi... Non, mais en ce moment, les gens sont chiants à me courser parce que je fais le mort, du coup... Ouais, pas trop envie de sortir... Okay, ça marche, à tout à l'heure. »

Quand il raccrocha, il fronça un sourcil. Cette fille était bien pressée de le rejoindre pour venir aussi tôt. Il haussa les épaules sans pousser plus loin sa réflexion. S'ils avaient fini assez tôt, il pourrait en rappeler une autre, plus tard dans la nuit.

*

Athénaïs sortit du métropolitain à la station de la Bibliothèque François Mitterrand. Il était rare que Ken l'appelât à l'heure du goûter pour l'inviter à parler de la pluie et du beau temps chez lui, mais c'était plutôt sympathique de sa part, d'autant qu'il paraissait vouloir disparaître de la circulation. Personne n'avait vraiment de nouvelles de lui, en ce moment, alors qu'il recherchât sa compagnie à elle était plutôt flatteur.

Elle avait eu une garde assez calme la veille et pouvait ainsi profiter pleinement de son jour de repos. Elle avait commencé un arrangement pour Jenifer et pris un peu de temps pour analyser quelques compositions dont elle souhaitait s'inspirer. Elle avait fait un détour à la boulangerie, anticipant le manque de prévoyance de son ami et collègue. Elle avait pris deux parts de gâteau, l'une au chocolat pour elle, l'autre au citron pour lui.

Elle parvint à destination, sonna. Puis re-sonna. Puis sonna une troisième fois, qui fut la bonne.

« C'est au deuxième...

— Oui, oui t'inquiète. »

Athénaïs réprima un sourire. Quand même, depuis le temps, elle savait qu'il habitait au deuxième étage. La porte de l'appartement était entrouverte, elle y pénétra sans grandes formalités. La première chose qui la frappa, c'était l'odeur. Non qu'elle n'eût pas l'habitude de sentir le cannabis chez les uns et les autres lorsqu'elle rendait visite aux membres du crew, mais là, c'était un peu plus prononcé.

« Hey... »

La voix rauque s'attarda sur son salut. Athénaïs tourna la tête vers l'homme qui l'accueillait chez lui, en chemise, jean et baskets. Alors qu'il était un grand fan des joggings et des chaussettes lorsqu'il traînait chez lui. Ce dernier la fixait avec des yeux hagards, presque indifférents, comme s'il était plongé dans une réflexion intense. Athénaïs fronça un sourcil interrogateur tout en prononçant un « Salut... ? » suspicieux. Ken resta immobile encore une minute, avant de cligner des yeux et murmurer : « Euh... Qu'est-ce que tu fais là, en fait ? ».

Athénaïs eut une expression tout à fait surprise. C'était plutôt à elle de lui poser la question !

« Bah, tu m'as appelée, tu te rappelles ? »

Ken, étonné, essaya de se souvenir.

« Non. J'ai appelé une Anaïs... pas... »

Athénaïs, regard dans le vide, réalisa que Ken n'avait aucunement eu l'intention de l'inviter chez lui, encore moins pour le goûter.