Chapitre 15 (3)

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Athénaïs dansait au fil du rythme endiablé que le mixage du DJ avait pris. Chantant les paroles qu'elle connaissait, elle ondulait, comme à son habitude. Ses amis l'accompagnaient sur la piste. Pour la première fois, elle voyait certains se lâcher. C'était plutôt sympathique. Le DJ scratcha et changea de registre. Les co-internes d'Athénaïs reconnurent la chanson de variété française qu'il passait et s'agitèrent de joie. Athénaïs choisit alors ce moment pour s'éclipser vers le bar : elle mourait de soif et voulait profiter de cette relative accalmie pour se ressourcer. Elle se fraya un chemin à travers la foule avec difficulté mais finit par parvenir à son but. Alors qu'elle commandait un mojito, elle tressaillit, percevant non loin d'elle une dégaine familière. Mohamed, situé à vingt pas d'elle, ne passait guère inaperçu avec son mètre quatre-vingt-dix. Le coeur de la jeune femme se mit à battre à tout rompre. Si Mo' était là... Ses yeux tombèrent ainsi Mikaël et enfin... sur les yeux perçants du Grec qui la dévisageait, déjà.

« Le mojito ! » cria le serveur.

Athénaïs sortit de sa torpeur et salua ce dernier avec un petit signe de tête. Elle entreprit de siroter sa boisson, une envie de fuir dans le ventre. Mais pourquoi fuir, Athé' ? N'était-ce pas plutôt à lui, de vouloir s'éloigner d'elle ? A cette idée, le coeur d'Athénaïs se serra. Elle voulait le garder à ses pieds. Pour son ego. Mais cette fois, son raisonnement lui parut sonner faux. Non, elle le voulait tout court. Elle ne savait plus pourquoi. Cette fois, s'il repartait avec une de ces filles, elle le savait, son instinct possessif, encore anesthésié depuis sa rupture avec Thibault, allait se réveiller. Pourtant, s'il se détournait d'elle, ce ne serait que la conclusion logique de tous ces rejets successifs de sa part.

« Salut, je te paie un verre ? »

Athénaïs avisa l'inconnu au regard ténébreux qui l'avait abordée, et qui arborait le sourire charmeur si commun à tous les prédateurs d'un soir. Il aurait pu être mignon s'il n'avait pas ce pli au coin de ses lèvres et cet éclat insolent dans les yeux, comme s'il était assuré d'obtenir son coup.

« Non merci, j'en ai déjà un, répondit-elle poliment en désignant son mojito à moitié terminé.

– Je peux toujours t'en offrir un autre.

– Non, ça va aller. »

Elle termina rapidement son verre et fit mine de s'éloigner du bar mais l'inconnu se redressa, lui aussi, lui barrant la route.

« Tu veux danser ?

– J'ai des amis qui m'attendent.

– Oh, ils sont où ? »

Athénaïs fit un geste vague vers la piste de danse. Le brun hocha de la tête. La jeune femme lui décocha un sourire diplomatique et voulut le contourner. L'homme l'arrêta à nouveau :

« Tu danses avec moi ?

– Ecoute,... »

Sans crier gare, une main se glissa soudainement dans le creux de sa taille et bientôt un bras enlaça son dos et le ramenait vers un corps. Surprise et paniquée, Athénaïs rencontra les yeux noisette bien connus de son nouvel assaillant.

« Un Russian, s'il te plaît, lança ce dernier nonchalamment au serveur qui était en train de secouer un cocktail d'une commande précédente avant de s'adresser à la jeune femme : Ca va, bébé ? »

Passé le mini-arrêt cardiaque qu'elle venait de vivre, Athénaïs, soulagée, eut un sourire et rentra dans la comédie que Ken tentait d'improviser.

« Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler bébé devant tout le monde. J'aime pas ! répliqua-t-elle d'une voix boudeuse.

– Princesse, alors ? » fit-il gaiement.

Athénaïs, sourire toujours au visage, le regardait sans dire un mot. Cette lueur malicieuse dans ses yeux, et cette ride si adorable au coin de sa lèvre supérieure... Il était vraiment beau. Son cerveau semblait peu à peu se déconnecter de la réalité. « Oui, appelle-moi princesse. » s'entendit-elle murmurer en son for intérieur. Son esprit, d'habitude si critique, ne parut pas même s'offusquer d'autant de mièvrerie.

Ken était dérouté par l'immobilité de la jeune femme qui pour une fois, le dévorait des yeux comme il avait l'habitude, lui, de la regarder, elle. Se pourrait-il qu'elle changeât enfin d'avis ?... Etait-ce enfin le déclic qu'on voyait sur tous les écrans de cinéma ? Lui qui avait décidé d'abandonner mais qui était allé voler au secours de la belle par pur héroïsme, lui suscitait-il enfin un peu d'admiration ?

Au creux du bras de son admirateur pas secret du tout, Athénaïs se sentait en sécurité. Comme à sa place. Une sensation qu'elle n'avait pas ressenti depuis... depuis un certain homme qui lui avait brisé le coeur et qui ne méritait pas qu'elle pensât aussi souvent à lui, en fin de compte. Ken avait raison sur toute la ligne sur Thibault. Pourquoi n'aurait-il pas raison sur le reste ? Ses yeux glissèrent des yeux du Grec à sa bouche. Ken perçut le mouvement de son regard, le coeur tambourinant. Etait-ce possible ou nageait-il en plein rêve ? Si ç'en était un, il ne voulait pas se réveiller. Il se pencha vers la jeune femme qui n'esquissa pas même un geste pour se dégager de lui.

« Le Russian !... Hé ! » cria le serveur, ramenant les deux jeunes gens dans la réalité.

Maudissant mentalement le serveur, Ken se redressa et quitta Athénaïs pour se rapprocher du bar et payer son verre. Athénaïs jeta quelques coups d'oeil à droite et à gauche. Le pseudo-brun ténébreux avait fiché le camp, constata-t-elle avec satisfaction. Elle revint à Ken.

« Merci, Ken. »

Il haussa modestement des épaules, verre à la main. Athénaïs resta plantée devant lui, ne sachant par où commencer. Elle se demandait si se déclarer à son tour, sans être vraiment sûre de ses véritables sentiments était une bonne idée. Pourtant, l'idée de le laisser s'en aller sans rien dire et devoir imaginer la nuit folle qu'il risquait de passer une autre l'ennuyait fortement.

Ken remarqua l'hésitation de la jeune femme mais comme rien ne venait, il décida de partir à son tour. Il lui souhaita une bonne soirée et la contourna. Athénaïs se retourna brusquement et le saisit par la veste. Le jeune homme se retourna. Athénaïs s'approcha de lui, ne sachant encore que lui dire. Ken pivota tout à fait face à elle. Le coeur du jeune homme frappait sa poitrine : elle était bel et bien en train de le retenir.

« Ken, je... je crois que je veux un truc avec toi. »


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