Chapitre 18 (2)

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Athénaïs respira l'air rassénérant de la nuit qui se rafraîchissait de jour en jour. Elle se sentait heureuse de sa journée qu'elle allait terminer avec ses amis en boîte. « Une journée qui n'aura pas été vaine. » songea-t-elle avant de se raviser : non, elle ne devrait pas penser ce genre de choses. Ce qu'elle faisait en dehors de la musique était logiquement moins plaisant, mais tout aussi utile. Aider les gens en détectant des AVC ou des ruptures d'anévrysme était une noble profession, même si c'était moins planant. Elle sourit à l'idée des spliffs que venaient de s'envoyer ses acolytes à l'appartement de Idriss. A côté de ça, tout était, à l'évidence, moins planant.

En boîte, le petit groupe fut rejoint par Pauline, Mikaël et Mohamed. Marguerite avait pris des vacances et n'était pas sur Paris ces deux dernières semaines. Athénaïs se rua alors sur Pauline qui venait à peine de s'installer pour l'entraîner sur la piste, à l'amusement de cette dernière.

« Tu ne peux rien faire sans moi, en fait, objecta la brune, taquine.

— Tu les vois se déhancher sur Beyoncé ? Défoncés comme ils sont ? rétorqua Athénaïs en riant.

— Bah, justement ! »

Eles pouffèrent tout en se mouvant au gré de la musique. Si tous les week-ends pouvaient ressembler à celui-ci ! se disait Athénaïs. Elle nageait en plein rêve. « Je ne veux pas me réveiller. » rappait Ken, dans sa chanson « Egérie ». Ah, c'était si vrai !... Alors qu'elle posait un regard distrait sur la foule environnante, son corps se raidit soudainement. Là-bas se trouvaient des personnes qu'elle reconnaissait très bien. Un petit groupe de gens qu'elle ne côtoyait que très peu, mais qui étaient les amis de quelqu'un dont elle ne voulait absolument plus croiser le chemin. Tout en continuant de danser, elle continua à observer le coin de lumière où ils s'étaient placés. Etait-il... Son coeur rata un battement, ou deux. Il était là. Elle ne put s'empêcher de souffler un juron silencieux. Elle sentit la main de Pauline la secouer doucement.

« Ca va ? » lut-elle sur ses lèvres.

Elle hocha la tête avec un sourire pour rassurer son amie et reprit un balancement en rythme avec la musique, tout en reportant son regard à l'endroit où elle avait aperçu Thibault. De loin, sans ses lunettes, elle pouvait voir qu'il avait gardé son allure de jeune dandy, toujours en chemise et pantalon. Une vague énorme de nostalgie l'envahit avec une intensité effrayante. Son parfum, son sourire, sa voix... Les souvenirs des pleurs et des drames remontèrent à la surface, tout comme ses sentiments passés. Elle le voulait soudainement près d'elle. Le coeur battant, elle esssaya de dominer les émotions qui menaçaient de l'emporter. Il ne fallait pas que Pauline perçût son trouble grandissant. Mais comment se faisait-il qu'elle fût encore aussi sensible à sa présence ? se questionna-t-elle. Elle aurait dû l'avoir oublié, d'autant plus qu'elle avait eu une petite aventure avec un autre, un ami qui plus était.

La musique passa à un autre registre, plus techno, sur lesquelles les jeunes femmes n'arrivaient pas à danser. Elles retrouvèrent alors certains de leurs compères au carré VIP. Toujours chamboulée, Athénaïs tenta vainement de rassembler ses idées. Tout son être se mourait d'aller retrouver Thibault, tandis que son instinct l'alarmait sur le danger d'une telle entreprise. C'était une situation qui devait survenir un jour ou l'autre ; elle ne devait pas se laisser perturber.

« Ca va, Say' ? lui fit Mohamed qui avait pris place près d'elle. T'as l'air fâché. »

Athénaïs se dépêcha de détendre son visage fermé.

« Ah non, non, pas du tout. »

Mohamed leva un sourcil interrogateur.

« Nek et toi, ça se passe comment ? »

Le temps d'une seconde, Athénaïs ne comprit pas ce que Mohamed voulait dire avant de se souvenir qu'effectivement, sa question était légitime. Elle se rendit alors compte qu'elle avait complètement zappé l'auteur d'« Egerie ». A côté de ce qu'elle venait de ressentir rien qu'en observant Thibault, son aventure avec Ken lui semblait bien anecdotique, comme un coup de folie.

« Ca va... » répondit-elle néanmoins.

Elle dut feindre une mine ennuyée, pour paraître crédible et faire passer son air effrayant des minutes précédentes pour de la dépression post-rupture. Mohamed se contenta de hocher la tête et de lui frotter vigoureusement le dos du plat de sa main :

« T'es forte, Say'. Ca va aller.

— Ouais... »

« Si tu savais ce que j'en pense, Mo', honnêtement... Je m'en fiche, en fait. » soufflait-elle en son for intérieur. Ses pensées se reportèrent sur Thibault. Elle avait envie de le revoir. Se confronter elle-même à ses propres sentiments. Rien que pour voir si elle était parvenue à surmonter ses blessures. Un vague à l'âme lui traversa le cœur. Elle allait pleurer sûrement.

Non, elle ne pleurerait pas. C'était juste de la nostalgie ! essayait-elle de se convaincre. Mais le pincement en son cœur se fit plus fort. Elle dut finalement se rendre à l'évidence : elle n'était pas guérie. Il fallait qu'elle évitât de se mettre encore plus en difficulté.

« Hé, Say' ! C'est S&M de Rihanna !! »

Athénaïs sortit brusquement de sa torpeur, alors que Pauline lui tirait le bras pour l'emmener danser une nouvelle fois. Elle se laissa faire de bon gré.

Elle remarqua que Pauline avait profité du carré VIP pour augmenter son alcoolémie et enflammait le dancefloor. Les gars se joignirent à elles, plus pour faire les idiots et amuser la galerie que pour réellement danser. Ils s'éclatèrent ainsi entre pas de danse improbables et vannes, ce qui allégea le cœur d'Athénaïs.

Après quelques chansons, cette dernière finit par chercher le bar, assoiffée par ses rires et la chaleur ambiante. Alors qu'elle commandait sa caïpirinha, elle ressentit une présence bien familière. Celui qu'elle redoutait tant s'avança auprès d'elle et demanda un vodka-coca. Le cœur d'Athénaïs entama une légère accélération. En tout cas, il avait toujours des goûts bizarres en matière d'alcool, plaisanta-t-elle intérieurement pour se calmer, tout en se préparant psychologiquement à l'affrontement.  Il avait dû la remarquer lorsque les garçons avaient pris d'assaut la piste de danse. En effet, passé une certaine heure de la nuit, l'Entourage ne passait que très rarement inaperçu.

Alors qu'elle faisait le vide dans sa tête, il se retourna vers elle. Tout son être tressaillit. « Athénaïs, pourquoi es-tu aussi sélective sur le choix de tes mecs ? » se lamenta-t-elle, intérieurement. Il était tellement beau. Ses yeux en amande, d'un velours noir, l'enveloppaient d'un regard toujours aussi doux. Même plus d'un an et une rupture houleuse plus tard, Athénaïs comprenait son choix : si on ajoutait sa serviabilité légendaire, comment aurait-elle pu résister ? Ils restèrent ainsi immobiles, à se regarder dans les yeux.

« La caïpirinha ! » annonça le barman en déposant la boisson verte sur le bar.

Le vodka-coca ne tarda pas non plus à être servi. Athénaïs sirota sa boisson face au bar, sans oser recroiser les yeux de son ex-petit-ami. Elle le ressentait : elle n'avait plus de rancœur contre lui. Mais elle était encore très amoureuse. Son célibat et son lavage de cerveau depuis plusieurs mois à présent étaient ses seuls boucliers. Ils burent leurs boissons côte à côte, sans parler. Athénaïs finit rapidement son verre pour se dépêcher de s'enfuir. Elle quitta alors le bar. Elle fut arrêtée net dans son mouvement : on la retenait fortement par le bras. Elle n'eut pas besoin de tourner la tête pour comprendre de qui il s'agissait. Quand son regard rencontra à nouveau le sien, elle n'eut pas non plus besoin de lire sur ses lèvres pour comprendre ce qu'il lui voulait.

« Athénaïs, il faut qu'on parle. »

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