Chapitre 24 (5)

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« Check Twitter. »

Assise sur le canapé défoncé de la salle de pause des internes de radiologie tagguée de personnages de mangas célèbres, Athénaïs faisait défiler les pages Internet sur son portable, les sourcils froncés. Alertée par le SMS laconique de Marguerite, Athénaïs s'était connectée au réseau social. Blême, elle y lut les myriades de messages qui mentionnaient Ken et elle dans la même phrase. On les avait suivis et photographiés. Au karting et au restaurant chinois. Heureusement, aucune image d'eux sur les toîts de Paris n'avait filtré. On relatait leur courte relation et brodait autour de leur « escapade lors de la Saint Valentin ». Chacun y allait de son commentaire. Les fans féminins du rappeur tiquaient sur ce rendez-vous à l'opposé du romantisme, supposant un manque d'intérêt flagrant de la part de Nekfeu, tandis que les fans masculins de la jeune femme louaient la simplicité de cette dernière ou s'énervaient contre l'homme qui avait osé inviter une « femme de cette classe » au karting.

La première pensée qu'eut Athénaïs alla à Hary, avant de se ressaisir un peu : ce garçon n'était pas du genre à lire les potins de stars sur Internet. Il avait bien mieux à faire. Peut-être n'en aurait-il pas vent ? L'idée de passer pour une fille peu sérieuse la rendit nerveuse. Elle avait tant espéré une issue heureuse à leur début d'histoire qu'elle ne s'imaginait pas tout arrêter maintenant.

Elle songea ensuite à Ken, inquiète des conséquences que ces bruits auraient sur sa relation avec Olivia, même si, comme leurs amis communs, elle trouvait qu'ils n'étaient pas faits pour finir ensemble. Elle lui envoya un message.

« Oui, j'ai vu. Olivia a pété son câble et elle a rompu. » lui répondit-il.

Puis un autre SMS arriva sur le téléphone d'Athénaïs : « Hary, ça va ? »

Athénaïs décida d'appeler.

« Hey, ça va ? s'enquit-elle directement quand elle entendit que Ken avait décroché.

— Oui...

— Je suis tellement désolée pour Olivia. »

Il soupira.

« Avec elle, c'est tout le temps comme aç'. Je ne sais jamais sur quel pied danser. Pourtant, elle sait que t'es juste une pote. »

Athénaïs grimaça : les mecs ne se rendaient vraiment pas compte de l'importance des dates.

« Comment tu te sens ?

— Je ne sais pas. Je pense qu'elle va revenir.

— Ah, OK. »

Ken avait une grande confiance en lui, s'étonna Athénaïs. Si elle ne le connaissait pas, elle aurait pu croire à de l'arrogance.

« Et toi, Hary ?

— Je ne sais pas. Il ne m'a rien dit. Je crois qu'il n'est pas au courant.

— Et quand il saura ?

— Je prie pour que ce ne soit pas le cas. Mais sinon, je lui dirai la vérité : t'es qu'un pote. T'étais pas bien, ce jour-là. Je suis venue en renfort. »

A l'autre bout du fil, Ken trouva Athénaïs bien naïve. Quel homme sur Terre aimait partager ? Surtout s'il s'agissait d'une femme comme elle ! Mais puisque ce raisonnement plaidait en sa faveur, il ne broncha pas.

« OK.

— Je t'ai appelé parce que je pensais que tu serais démoralisé, mais tu as l'air plutôt bien.

— Bof, ne t'inquiète pas pour moi. Tu sais, Oliv' et moi, on se sait... On aime se faire du mal.

— Sincèrement, Nek', je ne sais pas comment vous faites.

— Moi non plus, mais on est accro l'un à l'autre. »

Athénaïs émit un petit rire.

« Vous êtes vraiment des masochistes en surpuissance ! s'esclaffa-t-elle.

— Tu peux parler, doc' ! T'es en pause ?

— Oui, petit thé avant de reprendre en compagnie de San Goku.

— Ah ouais, c'est vrai que ta salle de pause est bien décorée ! Je repasserais bien un jour.

— Le mec va prendre un abonnement « échographie » juste pour passer voir Vegeta sur les murs ! »

Ken rit au souvenir de la fois où il s'était tordu la cheville et avait découvert le cadre de travail de son amie qui l'avait examiné.

« Dommage, je suis au studio avec les gars. J'aurais aimé voir ta tête d'intello à lunettes. » retourna-t-il.

Athénaïs eut un sourire légèrement voilé de l'autre côté du téléphone. Ken exprimait de plus en plus ses envies de la voir. Même s'il dissimulait du mieux qu'il pouvait son attirance, il voulait garder cette proximité. Seulement, Hary changeait la donne et bientôt elle ne pourrait plus permettre ces mots bien qu'ils ne fussent qu'« amicaux ».

« Bon... Nek', je dois retourner bosser, boy.

— OK, taffe bien... Miss. »

Athénaïs dressa l'oreille à ce nouveau surnom, et au silence qui avait précédé. « Mais pourquoi pas. » songea-t-elle sans pouvoir retirer de son esprit que c'était un détail supplémentaire sur lequel elle décidait de fermer les yeux, encore une fois. Elle le salua, raccrocha et prit une gorgée de son thé qui avait tiédi. Son coeur s'était serré, tout en frémissant. Elle aussi, elle avait envie de le voir, au fond. Traîner au studio, respirer son parfum quand elle poserait la tête contre son épaule et ressentir son bras qui la bousculerait un peu pour se placer autour d'elle.

Mais Hary... Hary était mieux, lui correspondrait mieux. Il saurait la mettre en premier, même avant son travail. Ken manquait de maturité et son crew prenait encore trop de place dans ses priorités. Sans compter cette perception toute relative de la fidélité.

Athénaïs contempla à nouveau les clichés qui circulaient sur la Toile. Sur l'un d'eux, ils étaient tous deux face à face, riants dans leurs combinaisons de rallye bleues et rouges. C'était une belle photo. Elle n'en avait aucune d'eux deux, se rendit-elle compte. Même quand ils étaient sortis ensemble, peu friande de ce genre d'exercice, elle n'en avait pas pris. Lui, oui. Elle se demanda alors s'il les avait supprimées. Et sinon, lui arrivait-il de les regarder ? « Arrête d'y penser. » se reprit-elle. Pourtant, quand elle termina son thé, l'amertume de son breuvage devenu trop concentré lui sembla plus douce que le sentiment qui la tenaillait.


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