Chapitre 1-1

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   L'Archicolonelle Santhe nettoyait les latrines insalubres de ses mains tremblantes et menottées.

   Cette tâche humiliante possédait une paix qu'elle n'avait pas ressentie depuis le début de la guerre. Le calme plat, rythmé par les accélérations du train-forteresse, lui apparaissait comme une ultime récompense. Elle oubliait presque que seule sa meilleure amie la Mort viendrait encore l'embrasser, durant son exécution publique.

   Elle souffla sur une longue mèche de ses cheveux de jade, blanchis par les cauchemars. La fatigue lui engourdissait ses doigts effilés et torturés. Elle leva ses yeux bleu roi sur la vieille horloge usée. Il ne lui restait que dix minutes d'efforts. Ces deux criblures sinistres s'égarèrent plus bas, sur les treize militaires Humains qui la tenaient en joug depuis trois heures, prêts à tirer au moindre mouvement suspect sur la plus abominable criminelle de guerre de l'Histoire.

   Ils la redoutaient, elle ainsi que les rumeurs atroces qui tournaient à son sujet, quelquefois infondées. Tous ces ragots s'entassaient pour modeler son nom : l'Archicolonelle. La terrible Archicolonelle. Celle qui avait tout subi, tout commis. Celle qui avait arraché son grade en gravissant la montagne de cadavres qu'elle avait empilée.

   L'un des soldats jugea bon de la frapper sur la tempe avec sa crosse, peut-être par plaisir, probablement par mépris. Elle ne put voir que son propre reflet blafard dans le casque opaque et brillant qui lui tenait rôle de miroir. Elle sentait presque ce masque d'os devenu son visage appuyer sur les muscles de ses joues. Le reste de son corps, forgé par les armes, s'effaçait lui aussi sur cette réflexion difforme.

   — Ton travail est terminé, sale monstre, cracha l'Homme dans la langue de Korris.

   Elle ne répliqua pas même d'un regard mauvais. Sa blessure se régénéra après quelques secondes, puis Santhe se releva. Elle le dominait, lui et les autres Humains, de près d'une tête. Un vent frais venu de l'extérieur la fit toutefois se replier et frissonner sous les vieux lambeaux qui lui servaient de vêtements. Dehors, à travers les barreaux sinistres où s'engouffrait l'air, les paysages de sa planète natale, Archelaus, défilaient plus vite encore qu'à l'habitude.

   L'agresseur s'avança à nouveau.

   — Dépêche-toi ! Aucun retard ne m'est toléré, sinon je serai torturé autant que toi.

   L'Archicolonelle arbora un sourire presque carnassier. Elle s'exclama, d'une voix aussi sombre que suave :

   — Que ce serait dommage.

   L'Homme se retourna, sans qu'elle perçoive sa réaction, puis la guida à travers quelques couloirs. De nouveaux soldats la cerclèrent. L'autorité qui émanait de Santhe, dernier pan de sa personne, disparaissait. Un sourire amer trancha son visage d'une mâchoire serrée à la suivante, telle une cicatrice difforme, tandis qu'elle se dirigeait vers la salle commune.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant