Chapitre 7-3

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Grâce à ses ordres pleins d'une force qu'ils n'avait pas ressenti depuis longtemps, Halekeis parvenait à abriter les villageois sans opposition, voire même avec respect. Santhe avait raison, pensa-t-il. Lui touchait les cœurs du bon angle.

L'un des enfants qu'il avait ramassés lui tint la main.

— Merci, dit le petit.

Tandis qu'il repartait vers sa mère, Halekeis tenta de cacher son émoi. Il s'écarta du pas de la porte alors que les derniers membres de ce groupe rentraient. Certains tremblaient de peur. Les tirs qui résonnaient depuis la haute maison au centre du village n'aidaient pas. Était-ce l'Archicolonelle ou leurs ennemis ? Cette seconde idée lui fit perler des sueurs froides dans son dos. Les soldats ne devaient pas trouver les Aniléens. Même s'il se qualifiait d'optimiste, il savait très bien ce qu'un Humain armé accomplirait contre un groupe d'Archelans désarmés.

Il ferma la porte de la cachette en leur intimant de ne pas l'ouvrir avant qu'il ne revienne, puis il se dirigea vers cette maison au toit de chaume.

Au travers d'une ruelle humide, il se sentit observé. Il s'arrêta et dégaina Lente Vindicte d'un grand geste menaçant. Dans une ombre abominable, une silhouette patientait. Ses yeux ne la voyaient pas. Seul son esprit paniqué, encore affecté par les derniers effets des drogues, percevait cette forme. Il la ressentait jusqu'au fond de son être.

Durant quelques secondes, il pensa à de la magie — à la fois art infâme et sorcellerie humaine — mais cette sombre peur secouait plus encore son corps. L'appréhension lui serrait les entrailles, comme Cassandre la seconde avant l'accident. Il connaissait ce sentiment.

— Sortez d'ici, Tsy'kar.

Le géant se leva, droit comme un colosse de quatre mètres de haut. Son visage n'arborait plus la vieille parentalité d'auparavant et ses yeux sans blanc ajoutaient à son air de statue. Halekeis n'aurait presque pas été surpris de le voir parmi les ruines d'Archelaus disséminées dans les forêts anciennes.

— Vous avez l'œil aiguisé, héritier Vázhari. Je pense que vous...

Le Vaal esquiva la lame rouge de Halekeis avant de reculer. L'aristocrate pointa son épée vers lui en signe de défi.

— Revenez à ma portée, spadassin ! hurla l'Archelan.

— Vos émotions vous perdront.

Le géant se jeta sur lui. L'Archelan tourna sur lui-même pour atteindre son dos alors que sa course continuait, pourtant Tsy'kar s'était redressé et saisissait fermement ses prises au sol. Un poing d'acier s'écrasa sur le visage de Halekeis, qui tomba raide. Il parvint néanmoins à rouler pour éviter le second coup du Vaal. Sa tête tambourinait de douleur et du sang coulait de son nez. Il chancela et se rattrapa sur le mur pour tenir debout. Alors que le vieil ermite s'apprêtait à lui offrir le coup de grâce, le son d'une épée au clair s'éleva derrière.

— Vous n'êtes pas le bienvenu ici, Vaal.

Halekeis ressentit pendant un instant le fol espoir de voir Santhe, armée jusqu'aux dents, venir à son secours. Toutefois, les trois gérontocrates se tenaient fièrement là, lames nobles à leurs mains. Tsy'kar les salua à l'ancienne.

— Je ne pensais plus recroiser des aristocrates des perles, sourit le Vaal. Que me vaut un tel honneur ?

Le jeune Archelan se tourna vers eux, surpris. Il ne savait rien du passé des trois anciens d'Anil.

— Votre mort prochaine, lança Reùj. Ou votre exil. Partez ou nous vous tuerons ici même !

— Hélas ! c'est impossible. Je dois arrêter Santhe, et ce jeune aristocrate avant cela.

Lente Vindicte pointée vers l'assassin, Halekeis reprit ses esprits.

— Santhe nous sauvera, Vaal, ajouta Peá. Peu importe que vous vous mettiez en travers de notre route.

— Je me pensais déjà être un vieux Vaal, hors du temps, supplié par les dieux d'entrer dans la tombe. Vous, pourtant, êtes les fruits d'un passé révolu depuis des siècles. Je suis votre fossoyeur.

Un déluge de coups ébranla la rue. Des étincelles jaillirent quand Tsy'kar dégaina deux couteaux. Très vite, Halekeis se joignit à cette noblesse ancienne. Ils se sentaient comme des frères, séparés par le temps et les vieux conflits, reliés par le prestige et l'honneur. Le cœur battant, Halekeis aida les trois gérontocrates à prendre l'avantage alors que les lames filaient.

— La jeune aristocratie n'a pas à rougir face à nous, remarqua Keelp en esquivant une attaque. Halekeis, vous êtes un grand épéiste.

— Je le savais.

Il lança son estoc sur la poitrine du géant, pourtant son couteau traversa l'air pour dévier le coup, telle une danse mortelle. Tsy'kar répliqua en chambrant son adversaire le plus proche : Reùj. Celui-ci esquiva et se joignit à ses frères de rang pour affronter le Vaal, très vite dépassé. Le cœur de Halekeis s'enflamma d'allégresse et usa de son archae pour combattre. Une nuée de flamme força l'assassin à reculer. La victoire s'annonçait.

Cependant, dans le chaos artistique des coups, Tsy'kar perça une faiblesse et trancha la gorge de Peá, le plus petit. Profitant de la surprise, il frappa le cou de Keelp, qui se brisa dans un bruit horrible. Halekeis et Reùj reculèrent à leur tour, leurs épées baissées.

— Partez rejoindre Santhe, lança le vieil aristocrate des perles. Je retiendrai ce Vaal pour vous.

— Je ne peux...

— Partez ! Je vous en supplie ! Ne mettez pas en danger les nôtres !

Il hésita, la main ferme sur Lente Vindicte, puis, à contrecœur, il obéit et courut vers le centre du village. Dans son premier pas, il sentit quelque chose frôler son dos et claquer sur du métal. Halekeis comprit sans se retourner que Tsy'kar ne voulait pas le voir repartir en vie. Alors qu'il se pressait, rageur, il parvint à entendre le son terrible d'une chair antique traversée par l'acier impartial.

Ses pas s'accélérèrent. Il devait trouver Santhe au plus vite avant que le vieil assassin ne le repère lui.

Au détour d'une rue, il aperçut une troupe de soldats humains qui se dirigeait dans sa direction. Paniqué, il se cacha derrière une paroi. La cohorte le dépassa très vite, puis s'arrêta soudain, leur chef levant le poing. La gorge serrée, Halekeis pressa la poigne de son épée. Au même moment, quelque chose rebondit au pied des korrisiens.

C'était une grenade. Pas de celles qui projetaient un souffle et des fragments, car de la fumée s'éleva à la place des chairs lacérées, voilant la vue de tous par un mur blanc et presque opaque.

Des tirs et des hurlements déchirèrent les tympans de Halekeis du côté opposé de la voie. Du sang macula son visage et la ruelle entière tandis qu'une tornade aiguisée tailladait les soldats. Des silhouettes disparaissaient derrière l'écran de fumée, happés par une lame avide de Mort. Le plasma filait dans tous les sens. L'air chaud et ionisé crépitait.

La grande ombre passa au milieu d'eux. Halekeis lutta pour ne pas voir ni entendre le résultat. Quelque chose de gluant, encore tiède, le toucha. Il repoussa la chose avec horreur et demeura prostré comme un enfant, se retenant de pleurer de peur.

Le dernier râle se perdit dans la fumée désépaissie et un corps tomba. Il ne restait plus qu'une haute silhouette rouge qui ne montrait que son dos à l'aristocrate. Puis un vent froid et sec dissipa le nuage.

Du monstre tombaient de longs cheveux de jade ensanglantés et une épée cramoisie rendue sombre. Elle se tourna, vive, dans la direction de Halekeis, révélant ses grands yeux bleus de prédateur.

Les traits durs de l'Archicolonelle se tordirent de surprise, puis elle se détendit. Halekeis la fixa un moment, trop effrayé pour parler. Elle se pencha sur son armure : la teinte de l'archalène ne suffisait pas à masquer l'hémoglobine. Lentement, elle le regarda à nouveau de son visage couleur d'os, maculé, et de ses deux yeux calmes.

— Viens, suis-moi.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant