L'aristocrate explosa de rage, hurla, puis se jeta vers le Vaal, sans remarquer que ses hommes l'attendaient dans l'ombre.
L'un d'eux lui asséna un violent coup de crosse en pleine course. L'Archelan s'effondra aussitôt, la tête en arrière, en sang. Son esprit devint trouble, pâteux puis douloureux. Ses pensées le noyèrent comme un flot de souvenirs incessants, désorganisés.
Il ouvrit les yeux et vit deux Hommes penchés, comme des créatures avides de le dévorer. L'ombre du géant plana alors sur lui, et Tsy'kar, allongé, écarta les korrisiens. Il saisit Halekeis au col, cogna sa tête sur le sol une fois, trois fois, dix fois, puis le lâcha. L'aristocrate sentait le goût du sang dans sa bouche. Ses idées s'éparpillaient.
La silhouette de l'assassin s'étendit à nouveau sur lui : c'était ses poings. Le Vaal le roua de coups secs, rapides et lourds. Chaque impact secouait l'Archelan comme un tronc face à la hache. Halekeis tenta de rouler sur le côté, mais son geste restait faible. Tsy'kar le ressaisit et le plaqua avec force, avant de le claquer contre le métal froid.
Le géant se releva doucement, Lente Vindicte à sa main.
— Je pensais avoir détruit cette lame après avoir accompli ma mission pour le compte des Aeguchi. Pourtant il semble que même enfant, vous avez eu la sagesse de récupérer les morceaux.
Il fixa le fil aiguisé, tourna l'estoc, puis posa l'épée contre une paroi avec respect.
— Tout comme les connaissances de mon peuple, continua-t-il, le savoir-faire des Archelans a disparu. Les grands maîtres-forgerons sont morts dès le début de la guerre.
Il souffla après une pause emplie de mélancolie, puis ajouta :
— Il est temps de mettre fin à tout cela.
Le Vaal se retourna pour se diriger vers le réacteur.
— Que dirait... Renze ? cracha Halekeis, sa voix ténue. Que pense-t-il de ce que tu commets là ?
— Renze ne serait en aucun cas d'accord. C'est pour cette raison qu'il n'en sait rien. Pour lui, je sécurise les accès des prisons. Tâche inutile.
— Tu l'as trahi.
— Certes, mais ma cause reste plus importante que ses objectifs. Santhe mourra aussi lorsque je relâcherai l'énergie du réacteur sur lui-même. Je ne fais qu'éteindre les souffrances de tous les autres par la même occasion. Moi y compris.
Tsy'kar s'éloigna de la loque sans vigueur appelée Halekeis, paralysée par la douleur. Respirer le tiraillait. Nombre de ses os se répartissaient maintenant aux mauvais endroits dans son corps.
Il se laissa aller aux larmes et abandonna ses muscles mal en point. Plein de gêne, il imaginait déjà sa lignée disparaître après avoir été traînée dans la boue. Il voyait le visage de ses ancêtres, honteux de leur dernière engeance. Je suis désolé, père, soufflait-il intérieurement. Je suis désolé, mère. Et toi, ma sœur, et mes frères ! Il se renferma, un instant. Des souvenirs plus frais lui revenaient. Je suis navré, Kaal. Excusez-moi, Santhe. J'ai tout essayé.
Tout ?
Cette pensée le traversa comme un éclair, terrible. L'Archicolonelle avait tout tenté, elle, absolument tout, étiolée par ses choix difficiles.
Lui vint soudain une vision. Non pas un égarement de l'esprit embrumé, mais une véritable vision telle que dans les histoires anciennes. Une dame bleue se tenait là, sublimée par ses lueurs surnaturelles.
La Main du petit-Être se pencha vers Halekeis avec toute la tendresse du monde ; pourtant il sentait dans ces yeux d'azur une tristesse et une résignation complète.
Elle lui baisa la main, en larmes, puis l'illusion disparut. L'Arcane, car son nom lui apparaissait comme s'il l'avait toujours su, laissa place à l'obscurité de ses paupières, d'un crépuscule familier. Ladite obscurité tourna à l'émeraude nocturne, puis au cramoisi. Il remarqua ses vaisseaux sanguins s'agiter, accélérer leurs pulsations. Son cœur bondit en sa poitrine. Ses chairs et ses os s'alignèrent, gouvernés par le sang de son corps, lui-même maîtrisé par son esprit. Ses souvenirs se consumèrent pour ne laisser que des cendres de souffrances. Presque rien ne restait, sinon un sentiment unique dirigé vers celui qui avait maculé ses pensées à leur source.
Il ouvrit grand ses yeux et se releva. Grâce à son archae corrompu par la vengeance, il saisit le premier korrisien à sa portée sans le toucher. Halekeis pouvait sentir tous ses organes, ses muscles et ses chairs, jusqu'aux cellules elles-mêmes. Il déchira l'homme comme une poupée de chiffon, puis, d'un geste agressif dans l'air, de ses doigts désarticulés, il fit de même avec les deux autres Humains à ses côtés.
Leurs hurlements de surprise et d'horreur s'éteignirent dans la douleur. Interloqué, le vieil assassin se retourna. Halekeis s'agitait dans une danse sinistre. Sous ses mouvements effroyables, les corps de ses ennemis se crispaient, puis tombaient, raide morts.
Le géant s'apprêtait à l'atteindre avec ses poings, mais l'Archelan le tacla sur plusieurs mètres, plein d'une force atroce, et le plaqua contre l'un des refroidisseurs du réacteur. Le Vaal le saisit par le cou et tourna ses coudes de façon à appuyer sur ses épaules. Forcé de le lâcher, l'aristocrate crispa ses membres et usa de l'archae crépusculaire pour retourner l'assassin, tête vers le bas. Celui-ci attrapa le refroidisseur et le délogea pour le jeter vers Halekeis tandis que celui-ci tentait de raffermir sa prise archaéenne sur le sang de son adversaire. Un grand vent froid entra dans la salle grâce au trou ouvert sur le vide.
L'Archelan se releva et vit les combats sur le spatioport à travers le nouvel orifice.
Le réacteur ! Il n'y songeait plus.
L'Oru tirait sur un rose vif. L'anneau pulsait de plus en plus vite. Il devait arrêter l'alimentation, quitte à détruire toute possibilité de faire exploser le réacteur. Pourtant son corps se tordait de douleur tant il pensait à autre chose. Son esprit luttait entre tuer Tsy'kar et désactiver l'anneau avant qu'il ne s'emporte et balaie toutes leurs espoirs.
Au même moment, le vieil ermite le plaqua et le traîna au sol sur plusieurs mètres. Il saisit à nouveau un système de refroidissement, mais cette fois l'aristocrate esquiva. Il roula et se cogna sur son épée rouge. Quand il la vit, une mitraille de pensées contraires l'écrasa. Saí, Faethák, Jinuu, Rehès, Tharoe, Kaal, Santhe, tous leurs yeux se posèrent sur lui.
D'un dernier geste, fragment d'espérance, il prit Lente Vindicte et la jeta non pas sur Tsy'kar, mais sur le terminal du réacteur. Une alarme s'ensuivit, et l'anneau s'assombrit, froid.
Tsy'kar lança un terrible cri de désespoir. Il frappa Halekeis de toutes ses forces. Celui-ci, la rage aux dents, ne chancela pas. Sa soif de vengeance balaya les cendres de son esprit. Halekeis cessa d'exister. Ne restait plus qu'un monstre de haine qui se jeta vers le vide ouvert du trou en entrainant le géant avec lui dans sa chute.
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Larmes Inhumaines [Terminé]
Science FictionRedoutée de tous les peuples, l'Archicolonelle Santhe est la plus grande criminelle de guerre de l'Histoire. En dépit de ses traumatismes, elle doit sauver ce qui reste de son espèce des mains d'une Humanité génocidaire. Alors qu'elle traverse un ch...