Chapitre 8-1

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« Selon certains, des Emphates furent déjà créés il y a 1275 cycles, en plein milieu de la Guerre des Poussières. À cela, je dois dire non ! En dehors de quelques IA étroites — dites "faibles" — ou les Ékanides aujourd'hui disparus, personne n'osait imaginer des Emphates comme Synthèse, l'Orfèvre ou les Pourfendeurs. Ce sont des rumeurs infondées. La technologie semblait trop limitée à cette époque ; orientée essentiellement sur l'Oru, le plasma et l'hyperespace. » Les intelligences artificielles et l'Histoire, Saloch Melbael, 283e cycle | 3e ère angonne

Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis leur entrée dans les grottes. Après le tremblement de terre qu'avaient causé les bombardements et la grande chaleur dans leur dos, le temps éteignit leur terreur et le poids de la fatigue les écrasa. Santhe et ses compagnons s'étaient reposés dans le coin le plus sec. Elle avait dormi du mieux qu'elle le pouvait tandis que l'aristocrate, qui enfin avait cessé de lui rejeter la faute du massacre des habitants, se plaignait maintenant du manque de confort des roches suintantes. Elle ne sourit pas. Les cris des damnés perçaient plus douloureusement dans cet environnement silencieux.

Plus tard, la méchaniste commença à scanner la grotte et les mena dans les entrailles d'Archelaus à la seule lueur de leurs ligebraces.

— Serait-ce moi ou nous descendons ? s'enquit Halekeis.

— Forcément, souffla Kaal. On monte, on descend, on zigzague. C'est ça les cavernes.

— Non, non, je ne me suis pas correctement expliqué. Plus nous avançons, plus loin sous la surface nous allons.

— Peut-être... Je peux plus vérifier sans les satellites. En plus, je recevrai rien ici.

Une fois la faim trop intense pour continuer et que Santhe l'eût autorisé, ils prirent une nouvelle courte pause pour se sustenter. Leurs réserves disparaissaient trop vite. Même les plats offerts par les villageois ne suffisaient plus. À raison de quelques bouchées par jour, ils ne passeraient pas une semaine avant de vider leurs sacs. C'est avec cette certitude à l'esprit que l'Archicolonelle croquait du bout des dents un fruit déshydraté, regardant d'un œil inquiet ses compagnons.

Pâle, elle se leva. Sa dernière quête ne pouvait attendre plus longtemps. D'un signe de tête, Halekeis et Kaal l'imitèrent. Ils s'enfoncèrent au plus profond des cavernes, dans l'espoir de trouver une sortie.

Plus loin, la roche noire laissa place à des strates de sel. L'air devint sec, les parois s'écartèrent, l'humidité des murs disparut. Les caves semblaient à présent très larges. Des coins de plus en plus distincts apparurent. La géométrie parut indéniable. La grotte formait un long couloir droit, rectangulaire de près de dix mètres de haut et seize de large.

— Kaal, s'enquit l'Archicolonelle, penses-tu que c'est artificiel ?

— J'en sais rien. On dirait, ouais.

— N'es-tu pas... méchaniste ? souleva Halekeis. Tu es censé connaître ce genre de chose, non ?

— Je suis méchaniste et ingénieure, pas architecte.

Santhe s'accroupit et enleva son gant de plaques rouges pour caresser le sol.

— C'est presque lisse, en dehors de quelques impuretés sûrement dues au temps. (elle se releva avant de continuer :) Je ne sais pas ce qui a creusé cette voie, mais la technologie qui a permis une telle prouesse doit être très avancée. Kaal, dans tes aventures, as-tu déjà croisé des foreuses géantes à fusion rocheuse ? Ou à plasma ? Laser ? Ou d'autres ingénieurs qui travaillaient sur quelque chose de semblable ?

La petite se gratta la tête.

— Non, jamais. En tout cas rien avec un résultat aussi net.

— Serait-ce Korris ? demanda Halekeis. La Hiérarchie fait... faisait pâle figure face à leur science.

Santhe reprit la marche, suivie de ses compagnons.

— Je ne pense pas, répondit-elle. Leurs découvertes se raréfient. Et j'ai déjà vu des forteresses souterraines humaines. C'est bien plus petit. Et plus... décoré.

— Ici ça manque d'or ? rit Kaal.

— Oui, c'est ça.

La voie continuait. Leurs échos résonnaient dans l'immense corridor, déformés par la distance.

— Il y a une impression d'antiquité qui émane de ce chemin, avança l'Archelan. Comme-ci ça datait d'avant la Hiérarchie.

— Avant la Hiérarchie ? sourit Santhe. L'aristocratie des perles, même sous Kìzau Eiyìs Joá, avait un niveau scientifique déplorable. Sans parler des œcuménistes avant ça.

— Non, vous ne me suivez pas. Je parle d'avant les gouvernements archelans et les conquêtes korrisiennes.

— Vous pensez que ce sont des restes des Insectes de Verre ?

Le silence plana un instant.

— Je le crois, oui. Cela signifie que nous foulons un sol vieux de mille cycles, sinon plus.

Plus personne n'osa discuter après cet instant. Ils marchaient en espérant apercevoir une lumière ou sentir l'air frais, mais rien ne se présentait, sinon un repos de mort. Le bout du tunnel leur apparut non loin, mais en lieu et place de la belle lueur d'Orumae, une obscurité alourdie par l'immensité les écrasait.

C'était deux failles gigantesques, parallèles et complètement artificielles. Kaal s'y pencha, curieuse, imitée par Santhe. S'il y avait un fond, elles ne voyaient qu'une mer de ténèbres entourée de millions de cases, semblables à des ruches noires. Des piliers titanesques, tous gravés d'un nombre incalculable d'idéogrammes au sens perdu, soutenaient des structures lointaines voilées par un brouillard fin.

— Toutes ces... cases, tremblota Halekeis, serait-ce des tombeaux ?

Santhe acquiesça, muette. Un éclair de fascination illuminait le visage de l'aristocrate.

— Nous nous trouvons donc dans un grand mausolée, continua-t-il, où des légions entières d'Insectes de Verre se reposent dans un sommeil éternel.

Halekeis demeurait figé de stupeur. Pour une fois, l'Archicolonelle ne considéra pas sa réaction comme puérile. Elle-même se surprit à ouvrir la bouche, béate.

Toujours penchée au-dessus du vide, Kaal leur fit comprendre que leur chemin était maintenant un long pont, très fin. En revanche, elle ne voyait rien qui pût le soutenir par dessous ou dessus. Il se tenait là, immuable.

— C'est en bon état pour des ruines. C'est très vieux ?

— Probablement, souriait Halekeis en tournant sur lui-même, captivé par les pseudohexagones que constituaient les tombeaux.

— Halekeis, vieux comment ?

— Vous sentez-vous bien ? intervint l'Archicolonelle avec un soupçon de hâte.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant