Chapitre 4-1

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« Les jeunes d'à présent ne savent pas la chance qu'ils ont de travailler pour le bien de tous à égalité avec les autres. À mon époque, avant que nous fondions les lois Pea He, avant même la guerre, nous, peuple archelan, vivions sous la gouvernance de la Hiérarchie. Ce régime tyrannique, dominé par les Hiérarques et l'aristocratie, n'hésitait pas à envoyer les enfants au front pour assurer ses intérêts. » Utopie Pea Heènne, Kete Uarh, -731e cycle | Ère d'argent

Après deux jours de trajet, les trois Archelans parvinrent dans la nuit à Zinth. Leur sac de vivres s'était vidé trop vite. La faim et la fatigue les accablaient. Ils se dirigèrent devant l'avant-poste à l'entrée de la cité, où des bidonvilles tentaculaires couvraient les environs. Santhe leur expliqua que les milliers de réfugiés qui vivaient là ne pouvaient entrer, car le Hiérarque tentait de garder le pouvoir sur la population urbaine.

Le groupe s'ouvrit un passage dans la marée de malheureux afin d'atteindre le point de contrôle. Un soldat les arrêta.

— Oh ! Vous, les tourtereaux ! Vos papiers, s'il vous plaît. Votre gosse aussi.

Santhe se tourna lentement vers lui, inquisitrice. Elle désigna sa cuirasse d'archalène et ses deux armes.

— J'ai vraiment l'air d'une mère de famille ?

— M'en fous. Vous êtes peut-être soldate, mais vous n'échappez pas à la règle. Vos papiers.

L'Archicolonelle ne s'empourpra pas de colère. C'était une émotion parasite. Elle ne possédait toutefois ni de permis de port d'arme, ni déclaration militaire, ni carte d'identification. Même son ligebrace ne lui appartenait pas. Elle n'était personne. Mais avant qu'elle ne sorte son pistolet, Halekeis s'avança.

— Voici les miens. Je me porte garant pour les autres.

Le soldat soigna alors ses manières.

— Oh, je vois, mon seigneur. Bon, vos documents sont vieux, mais vous pouvez passer. Malheureusement, ce genre de méthode n'est plus valable de nos jours pour elles. Si elles n'ont pas leurs papiers, elles ne rentrent pas.

— Pourquoi ?

— Elles pourraient très bien être des humaines. Un sale mage a noyauté Kiyar avec ses arts ignobles pour apparaître comme l'un des nôtres.

— Dans ce cas, vous ne pouvez pas simplement contrôler les gens avec des ustensiles en argent ?

— Je suis navré, mais j'ai reçu l'ordre de ne laisser entrer que les Archelans qui ont des papiers.

— Ne pensez-vous pas qu'un sorcier digne de ce nom viendrait justement avec des documents en règle ?

Le soldat secoua la tête négativement et les poussa à faire demi-tour d'un geste méprisant.

Santhe s'approcha de lui. Son visage arborait toujours un calme olympien, presque froid. Seuls ses yeux la trahissaient.

— Quel est votre matricule, soldat ?

— Je suis le lieutenant Fuùmai Eòth Mazùmir. Chef de la patrouille Ji...

L'Archicolonelle le fixa longuement, dure. Le regard du militaire vacilla. Enfin il parut comprendre qui elle était.

— Vous ne m'avez pas reconnu, lieutenant ? Je suis l'Archicolonelle Santhe. Je suis sur une mission capitale et vous nous avez retardés. Je me dois de signaler moi-même au Hiérarque votre incompétence. J'ai peu de temps, certes, pourtant je ferais un effort pour assister à votre pendaison publique.

Soldats et immigrés fixaient la criminelle de guerre. Le lieutenant suppliait à genoux devant elle, mais elle passa son chemin pour entrer en ville, imitée par ses deux compagnons et par les regards d'une foule ahurie.

— C'était du bluff ? murmura Kaal en souriant.

— Veux-tu un doux mensonge ou une vérité amère ?

Kaal ne répondit pas. Elle suivit ses deux camarades dans un monorail magnétique en partance vers le centre-ville. Beaucoup de monde se tenait là, mais tous s'écartaient en voyant l'Archicolonelle — quand ils ne sortaient pas carrément.

— Charmant accueil, sourit Halekeis une fois assis dans la navette.

— Parlez-vous du lieutenant ou de ceux-là ?

Santhe désigna les autres Archelans qui prenaient le tram avec eux. Ils reculèrent plus encore.

— Non, du soldat.

— Zinth est la dernière ville archelanne à prendre part dans la guerre. Étonnamment, le royaume ne l'a pas encore bombardée ni assiégée, mais ça ne saurait tarder. Quand elle tombera, la Hiérarchie suivra. Tout le monde est sur le qui-vive.

Santhe sourit lorsqu'elle vit la jeune méchaniste se plaquer contre la vitre pour observer la vie urbaine. Des nuées de passereaux-tigres voletaient entre les centaines de tours qui se dressaient, arrogantes, au-dessus de la marée d'habitants qui grouillaient. La navette s'arrêta dans l'astroport, d'où quelques dizaines de vaisseaux de guerre se préparaient à redécoller, puis le monorail repartit en direction de l'hôtel de ville, centre-ville est.

En chemin, le regard de l'Archicolonelle s'abandonna sur les gigantesques canons de barrages orbitaux. Leur rôle consistait à empêcher une quelconque invasion depuis l'espace. Mais Santhe remarqua que celui-ci ne fonctionnait pas, pour des raisons de maintenance. Peut-être les autres non plus.

La petite voix de Kaal l'arracha à ses pensées :

— C'est vrai ce qu'on dit sur l'ancienneté de Zinth ? Qu'elle date de l'ère pré-archelanne ?

Santhe sourit gentiment, mais c'est Halekeis qui répondit :

— Ce sont des mensonges. Zinth n'a rien d'une ville des Insectes de Verre. En fait, il existe très peu de leurs villes sur Archelaus, uniquement des antiques forts ou des forums religieux. Le despote Kìzau Eiyìs Joá a conçu cette légende de toutes pièces durant son règne afin de donner à la cité une certaine légitimité comme capitale. C'était peu avant le renversement de l'aristocratie des perles.

Kaal acquiesça, sans remercier l'Archelan. Elle sembla hésiter lorsqu'il évoqua l'ancienne élite, mais ne dit rien cette fois.

La navette s'arrêta à destination. Le groupe se dirigea vers l'entrée de l'hôtel de ville, où un nouveau soldat les arrêta.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant