On la mena à travers la pièce où mangeaient déjà les autres détenus, tous Archelans, comme elle. Et tous la haïssaient plus encore après sa défaite, qui les avait faits prisonniers du royaume de Korris.
Au milieu de l'obscurité du wagon presque clos et des odeurs nauséabondes, ils l'accueillirent par des insultes.
Les militaires tentaient de les calmer, sans succès. Quelqu'un tira sur un bougre un peu trop agressif, ce qui cette fois les dompta.
En dehors des chaînes et haillons qu'ils portaient, ses frères Archelans ressemblaient beaucoup aux Humains. Toutefois, ce qui les en différenciait d'habitude était ici preuve de leur misère. Celle-ci les écrasait tant qu'elle réduisait l'écart de taille. Leur peau, leurs yeux et leurs cheveux normalement si colorés se ternissaient par l'inanition et la saleté. La faim rapiéçait la grande force conférée à ce peuple.
L'Archicolonelle remarqua un jeune enfant-soldat sur un banc. Il agonisait, la jambe déchirée par le tir d'un Humain. Elle détourna le regard. En quatorze cycles de guerre, soit presque dix-sept années korrisiennes, elle avait été témoin ou instigatrice de bien pires atrocités.
Santhe essuya le crachat d'un ex-camarade et se retint de lancer une quelconque réplique. C'eût été idiot d'envenimer une situation déjà désastreuse. L'Archelan arrêta cependant les soldats afin de la défier du regard.
— Tu as trahi la Hiérarchie.
L'Archicolonelle resta de marbre, froide comme de la glace d'air. L'un des soldats humains s'avança.
— Tu écartes-toi ! lança celui-ci avec maladresse en langue archelaüsienne.
Le prisonnier ne lui répondit pas. Il fixait Santhe dans les yeux, avant de lui cracher à nouveau au visage.
— Bien des congénères ont proféré ces paroles, rétorqua l'Archicolonelle.
— Si je ne suis pas le premier, c'est qu'il y a une raison, non ?
Elle ne répondit pas. Il s'empourpra, puis tendit son poing pour la frapper. Aussitôt, par excès de zèle ou de dédain, un soldat lança une décharge de plasma assez puissante pour vaporiser tout le haut du corps de l'Archelan. Santhe ne regarda pas le cadavre, plus désintéressée que dégoûtée.
Un peu plus tard, ses geôliers la jetèrent dans sa cellule. Elle se rattrapa par réflexe avec une roulade et s'assit en tailleur sur le métal, dirigée vers le mur froid. On lui balança une gamelle de nourriture avariée qui se vida à moitié sur le sol crasseux. D'un calme maintenu, elle mangea.
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Larmes Inhumaines [Terminé]
Science FictionRedoutée de tous les peuples, l'Archicolonelle Santhe est la plus grande criminelle de guerre de l'Histoire. En dépit de ses traumatismes, elle doit sauver ce qui reste de son espèce des mains d'une Humanité génocidaire. Alors qu'elle traverse un ch...