* *
*
Allongée sur la passerelle, le regard tourné vers les petits points dorés qui grossissaient, Santhe eut soudain une idée.
La forme du KOR Deskalf apparaissait toujours au loin. Il flottait, seul, comme un chien qui attendait son maître. Selon le message de Kaal, il était en mauvais état, mais son plan ne nécessitait que trois éléments : l'autocrash branché, les propulseurs principaux et le réacteur Oru propre à l'astronef. Afin que son fils ne la remarque pas, elle pianota discrètement sur son ligebrace et se connecta au vaisseau. Grâce à l'autocrash, à la fonction première enfin remplie, elle donna comme trajectoire le flanc de la montagne, sur un point bien rose. Elle programma aussi le réacteur pour se surcharger et exploser au moment de l'impact.
Renze lui tournait le dos et fixait l'escadron doré qui s'approchait. L'Archicolonelle en profita alors pour se jeter en avant et courir vers le premier astronef négrier à sa portée. Elle frappa la porte du sas avec vigueur.
— Ouvrez-moi !
Renze la plaqua au sol avant que quiconque ne l'accueille. Elle remarqua son regard viré sur son ligebrace. Avait-il compris son plan ? Santhe n'eut pas le temps de soupeser cette idée qu'il lui saisit le poignet et, rouge de colère, détruisit l'appareil. Il la frappa au visage, prit son pistolet lourd et le jeta par-dessus la barre pour la désarmer. Désespérée de ne pas avoir validé le trajet du Deskalf comme des autres vaisseaux négriers, l'Archicolonelle agrippa son fils par la jambe et lui mordit le mollet de toutes ses forces. Malgré ses sueurs froides et les cris de ses damnés, ses membres tremblants et ses sens atténués, Santhe arracha le ligebrace de Renze et retourna l'Archelan pour le pousser dans le vide. Il attrapa la passerelle d'une main au dernier instant.
Le temps qu'il se hisse à nouveau vers elle, l'Archicolonelle remplit ses identifiants sur le ligebrace de son fils et se reconnecta aux quatre autocrash. Elle sentit ses jambes vaciller et s'effondra sur le sol. Son esprit s'érodait. Elle vit néanmoins les amarres des vaisseaux en seuil critique. Ils tomberaient d'une minute à l'autre. Elle le savait.
Après avoir regardé le ciel couvert par la flotte korrisienne, elle régla le trajet des trois négriers pour passer en hyperespace bien plus tôt quand ils décolleraient. Les dégâts seraient considérables autour de la planète. Une onde gravitationnelle secouerait tout sur plus d'une demi-unité astronomique, comme une vague de tsunami face à des bidonvilles. Elle devait prendre cette précaution non seulement pour s'assurer que les Humains ne les arrêteraient pas, mais aussi pour les empêcher de les suivre. Et qui sait ? se dit-elle. Peut-être cela allait-il détruire la flotte.
Une main se referma tout à coup sur sa cheville tandis qu'elle partait vers le sas ouvert du KOR Yseult. Elle voyait Fael et ses confrères se pencher en effectuant de grands gestes.
— Restez là ! criait-elle. J'arrive !
Le bras irrémédiable de Renze la traînait en arrière le long de la passerelle métallique. Elle tenta de lui donner des coups de botte, mais son fils résistait. Les douze points dorés apparaissaient maintenant clairs, et l'Archicolonelle identifia les bombardiers. Comme un orchestre funèbre, le sifflement des amarres s'enjoignit à cette vision d'apocalypse.
Pleine d'une terrible sensation d'inassouvissement, Santhe grattait le sol lisse à la recherche d'une emprise. Rien à faire ! Renze la tirait sans qu'elle ne puisse le ralentir. Elle le frappa à nouveau, mais il tenait bon. Leurs congénères continuaient de hurler pour l'inviter à monter. Sa frustration fut telle qu'elle perdit le goût et l'odorat, complètement. Elle savait que ses autres sens suivraient le pas.
Elle tourna sur elle-même et réussit à se libérer, puis elle projeta son fils au sol.
— Qu'est-ce que tu comptes encore faire ? lâcha celui-ci sans se relever. On est trop loin !
L'Archicolonelle s'arrêta dans son début de course. Renze avait raison. Les gigantesques électro-aimants lâchaient prise, un par un.
Le cœur serré, pleine de doutes et de regrets, elle hésita un instant.
Devait-elle rester ?
Elle rugit à pleins poumons, tordue de toutes parts, secouée de spasmes horribles, mortifiée de visions effroyables, puis elle valida le trajet des quatre astronefs sur le ligebrace de Renze.
VOUS LISEZ
Larmes Inhumaines [Terminé]
Science FictionRedoutée de tous les peuples, l'Archicolonelle Santhe est la plus grande criminelle de guerre de l'Histoire. En dépit de ses traumatismes, elle doit sauver ce qui reste de son espèce des mains d'une Humanité génocidaire. Alors qu'elle traverse un ch...