Le seigneur Yadorr entra. En dépit de son air maussade et de la pâleur de ses traits, l'Homme portait de nobles vêtements, comme il le convenait pour un seigneur korrisien. Avec un regard amusé, il serrait entre ses lèvres un cigare terne. Un sous-fifre lui plaça une chaise avec un geste discipliné puis le gros homme s'assit en face de l'Archicolonelle.
— Seigneur Yadorr, le salua Santhe avec un sourire, plus connu sous le nom de « Boucher d'Iji ».
Il imita son rictus. Le sien ne transpirait aucune joie non plus.
— Et vous, il est inutile de vous présenter, dit-il d'une voix usée par le tabac. Vous êtes à la fois la plus fameuse et la plus infâme de tous les acteurs de cette guerre.
Il se redressa sur sa chaise pour mieux s'avachir une nouvelle fois contre le dossier.
— Il paraît donc que vous avez tué un soldat ? Ma chère Santhe, il est si difficile de vous garder calme ! Même filmée, vous trouvez toujours le moyen de couper la vidéo afin de satisfaire vos monstrueuses envies de mort.
Elle haussa un sourcil, muette.
— Plus que treize heures avant notre arrivée à l'astroport de Koth, ajouta-t-il, et encore quarante-et-une heure avant votre exécution publique. Assagissez-vous d'ici là. Nous sommes à peine à cinquante kilomètres de Zinth. Je vais devoir, pour assurer l'ordre dans ce bâtiment, vous laisser croupir au fond de votre cellule moisie.
Santhe resta de glace. Le seigneur s'irrita.
— Toute résistance est futile, Archicolonelle. Vous le saviez vous-même depuis le début de la guerre. Alors, pourquoi encore nous agacer ainsi ?
— Mon travail n'est pas terminé.
Il lâcha un rire faux, puis reprit sa gravité en ressaisissant dans sa main son cigare.
— Si vous tentez de fuir, vous serez abattue. Si vous tentez de rejoindre la ville la plus proche, vous serez abattue. Si vous tentez de parler avec les vôtres, vous serez abattue. Archicolonelle, que vous alliez vers nous où les vôtres, tout le monde vous hait. Aucun Archelan ne vous suivra. Et même si c'était le cas, ils se rebelleront... Non... Se rebelleraient contre vos méthodes inhumaines.
— Vous abordez mes méthodes inhumaines, Yadorr ? Votre espèce porte mal son nom. Personne n'est moins humain que les korrisiens.
Il la gifla de toutes ses forces, mais ne réussit qu'à la faire bouger d'un pouce et à laisser sur son visage la vague empreinte rougeâtre de sa paume.
— Vous êtes la dernière personne au monde à pouvoir nous juger là-dessus ! Aucun Humain n'a autant commis d'atrocités que vous seule. Vous êtes plus renommée que mon noble Roi Meruel III tant vos exactions sont ineffables !
Il se leva, en colère, cracha son cigare toujours ardent puis contourna la chaise pour s'appuyer de ses deux mains sur son dossier. Il la fusilla du regard.
— Jamais, ô combien jamais, vous n'accomplirez quoi que ce soit ! La probabilité est tellement infinitésimale que ce n'est plus de l'espoir que vous avez, mais de la bêtise. La guerre est terminée ! Votre mort signifiera sa fin. Votre nation, la Hiérarchie, agonise. Si même, dans la nanoscopique éventualité où vous parvenez à fuir ce train, à regrouper des troupes, à les diriger et à nous combattre, comment comptez-vous survivre durant au moins un mois ? La Hiérarchie est déjà morte. Vous ne pourrez la ressusciter.
Il souffla, puis sortit un nouveau cigare. Sa colère disparut enfin, ne laissant que du mépris.
— L'emprisonnement vous a rendue folle, Santhe. C'est l'unique possibilité que je vois. Hélas, vous offrir le trépas comme punition m'est refusé. Mais pas la torture.
Elle lâcha un rire sec.
— Allons, Yadorr, la Torture ? C'est une vieille amie.
Il la gifla de nouveau. Sa colère avait diminué sa force.
— Idiote ! Vous vous moquez de moi ? Soldats, emmenez-la dans la chambre verte.
Lesdits soldats rangèrent leurs armes et se dirigèrent vers l'Archicolonelle, pourtant aucun ne put l'arrêter à temps.
Santhe brisa ses menottes et les bras de l'Homme qui la maintenait au sol, le projeta, enfonça d'un geste précis deux doigts dans la gorge du seigneur Yadorr, puis ressaisit à l'horizontale le korrisien aux poignets brisés pour s'en servir comme bouclier humain.
Les militaires eurent à peine le temps de dégainer à nouveau, puis firent feu sur leur camarade encore vivant. Déjà l'odeur d'air ionisé et de chair brûlée emplissait les narines de l'Archicolonelle qu'elle jeta le corps bouillonnant du pauvre homme sur les assaillants, en prenant garde à conserver dans les mains son fusil plasmique. Le sang du seigneur commençait à maculer le sol sous les pieds de l'Archelanne lorsqu'elle se lança à travers la porte du wagon.
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Larmes Inhumaines [Terminé]
Ficção CientíficaRedoutée de tous les peuples, l'Archicolonelle Santhe est la plus grande criminelle de guerre de l'Histoire. En dépit de ses traumatismes, elle doit sauver ce qui reste de son espèce des mains d'une Humanité génocidaire. Alors qu'elle traverse un ch...