Chapitre 7-4

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Des piqûres frustrantes apparaissaient sur la peau de Kaal tandis qu'elle traversait les hautes herbes et les buissons épineux. Elle jura bien des fois en silence à cause de ses démangeaisons, s'arrêtant toutefois lorsque son ligebrace se manifesta. Santhe l'appelait.

— Oui ?

— J'ai retrouvé Halekeis, mais Tsy'kar nous a suivis.

— Merde ! À Anil ?

— Oui. Il poursuivait Halekeis et l'a perdu. Ça signifie que Renze l'a recruté, ou que l'un piste l'autre. À deux, ils nous vaincront. Pire encore : Renze travaille pour le grand-duc Dardarel. Nous devons partir avec les villageois au plus vite, mais j'ai la solution pour assurer notre évacuation.

— Nous n'allons pas fuir ! intervint la voix de l'aristocrate derrière l'Archicolonelle.

— Avez-vous une autre idée, Halekeis ?

Silence.

— C'est bien ce que je pensais, ajouta-t-elle. Kaal, pars vers l'Itharis. Vérifie s'il est toujours vide et utilise son relai hypercom pour émettre le message que je t'envoie sur la ligne qui est donnée.

— C'est quoi ?

— Une malédiction.

— Quoi ?

— N'y pense pas. Préviens-moi dès que tu l'as fait.

La communication stoppa net et laissa la méchaniste jurer. Elle ne comprendrait jamais l'Archicolonelle. Une malédiction ? Elle se prenait pour une magicienne ? Kaal continua son avancée lente dans la végétation. Pendant un instant, elle s'arrêta et ressaisit ses jumelles bricolées. Selon l'appareil, la maison la plus proche se trouvait à trois-cent-cinq mètres ; l'Itharis, lui, à neuf-cent-quarante-sept. Elle contourna alors la zone et s'aventura contre le flanc de la montagne. Quand elle tira les lianes qui la gênaient, elle fut surprise de les voir pendre depuis une petite île volante, à quelques mètres au-dessus du mont.

Plus tard, elle faillit tomber dans un cratère, vers l'est. Il s'ouvrait sur une grande grotte noire. Elle prévint Santhe du danger, afin qu'elle ou l'aristocrate ne risquent rien s'ils trouvaient d'autres impacts d'obus. L'intuition de l'Archicolonelle s'avérait justifiée : les bombardements ne ciblaient que les environs du village.

Parvenue dans le « dos » de l'Itharis, elle pointa à nouveau ses jumelles. Au loin, Santhe se battait contre des Humains et courait entre des bâtiments en feu. Kaal devait se dépêcher. Ses compagnons ne pouvaient pas tenir éternellement. Son regard se redirigea alors vers le mécha immobile. Elle se maîtrisa pour ne pas vomir en voyant les enluminures dorées sur le blindage rouge. C'était contre nature ! Ces sales Humains gâchaient l'une des plus belles réussites des Archelans avec leurs cochonneries inutiles ! Elle ajouta cet élément à sa liste mentale des raisons d'expulser les korrisiens hors d'Archelaus et se faufila pour améliorer la mise au point de ses jumelles numériques.

Un homme rôdait autour de l'Itharis. Seul, désarmé, mais vieux, la peau sombre, barbu et tatoué. Elle le reconnut aussitôt. Elle se rappela de ses mains, avec lesquelles il caressait sa tête la nuit pour l'apaiser. Elle vit la même cicatrice à l'épaule droite, dont elle lui demandait toujours l'origine, et dont il lui expliquait toujours qu'il avait oublié. Elle se souvint de ces yeux qui, pas si longtemps auparavant, se posaient sur elle pour la féliciter de son travail de méchaniste.

Kaal cracha au sol. Son mépris pour Lasber dépassait tout ce qu'elle avait ressenti pour lui avant sa trahison. En colère, elle s'approcha discrètement jusqu'à une dizaine de mètres. Elle prit un laser utilisé habituellement pour les calculs de distance et le bricola pour augmenter son intensité maximale. Elle le dirigea ensuite sur une veste korrisienne posée sur une caisse. Une flamme embrasa le tissu après quelques secondes que déjà les accumulateurs de l'appareil étaient vides. Lasber mordit à l'hameçon et courut pour piétiner le vêtement. Kaal profita de l'instant : elle fonça et sauta sur l'échelle de l'Itharis. Avant qu'on ne la voie, elle rentra dans la cabine et força la porte afin de se cloisonner de l'extérieur.

L'odeur poisseuse du vieillard s'élevait dedans. Les tissus du siège paraissaient imbibés de son parfum si familier, qui rappelait les médicaments. Le dégoût de Kaal ne lui empêcha pas de réactiver le réacteur Oru, empressée à l'idée que Lasber pilotait le véhicule sans y être. Les interfaces s'illuminèrent avec des dégradés affectés par l'âge. Des bips signalèrent le statut des composants avant les écrans holo : le chargeur, les vérins numéro 1 de chaque armature inférieure — ou « jambe » — et le verrou de la cabine dysfonctionnaient. Exactement ce que l'Archicolonelle lui avait précisé.

— Sors d'ici.

La voix parvenait de la communication courte. Elle transpirait l'autorité, l'agacement et une pointe de paternalité.

— Je sais que tu es là, Kaal. Les vestes ne brûlent pas toutes seules. Allez, sors de là.

Le petit cœur de la méchaniste battait la chamade. Toute son enfance, elle avait appris à obéir presque aveuglément lorsqu'il prenait ce ton. La dernière fois, quand elle avait risqué la surcharge d'un réacteur Oru d'une épave qu'ils dépouillaient, il avait élevé la voix de la même façon.

Pas cette fois.

Elle pianota sur les interfaces et parvint à activer les hypercoms. Puis, à nouveau, ce fut noir. Le signal s'éteignit, très vite suivi des autres composants qui perdaient contact un par un.

— Vas-y, essaie, provoqua encore le vieillard, grincheux. Je vais tout couper jusqu'à ce que tu sortes. T'inquiète pas, tu ne risques rien. Seulement...

Il s'arrêta et toussa de façon affreuse.

Kaal ne préférait pas écouter ses promesses. Les Humains mentaient comme ils respiraient. C'était connu. La frustration la fit frapper les accoudoirs, puis elle tenta de trouver le logiciel qu'utilisait Lasber. L'écran s'éteignit soudain. Elle ragea. Ses mains se transformèrent en fourmis hyperactives sur tous les contrôles disponibles, mais le vieil ingénieur bourru restait trop rapide. Elle retourna le siège et enleva une plaque du dessous. Grâce à ses doigts dorés, elle trafiqua le système d'urgence. Du rouge illumina le cockpit. Les écrans s'activèrent à nouveau, dont les représentations de l'extérieur à 190 degrés d'angles de vision. Aussitôt, elle parvint à couper le logiciel de Lasber et saisit les champs de l'hypercom.

Elle aperçut alors par la caméra le vieillard monter l'échelle.

Kaal maintint la portière verticale fermée d'une main tout en entrant les coordonnés de l'autre. L'ingénieur tenta d'ouvrir une première fois. Il était fort. Elle valida la communication et une barre de progression s'afficha. Elle jura. À nouveau, Lasber essaya de forcer, mais cette fois, Kaal dut utiliser ses deux mains. Même Archelanne, elle restait trop jeune pour défier un méchaniste expérimenté par les muscles seuls.

Son ligebrace s'activa grâce à sa voix. L'enfant appela Santhe.

— Tu as envoyé le message ? demanda aussitôt l'Archicolonelle.

— Aidez-moi ! Lasber va me... Ah !

— Et le message ?

— Presque, ça charge... Presque...

— J'arrive.

Le relai hypercom projeta le signal, qui traversa l'interstice sans espace ni temps jusqu'au réseau korrisien.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant