Chapitre 1-3

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Peut-être dormait-elle. Elle ne savait plus. Elle ne se souvenait plus. Elle entendait des tirs, se voyait tuer des dizaines de personnes avec un pistolet, un vaisseau, un fusil, une épée, des couteaux, à mains nues... Des visages passaient çà et là. Santhe reconnaissait certains, car elle enroulait ses doigts mortels autour de leurs cous. Puis elle aperçut une bataille : des Itharis géants tombaient sur des centaines de maisons, abattus depuis l'orbite par la flotte korrisienne. Ces colosses rouges laissèrent alors place à une autre bataille, où cette fois elle se battait en zéro g, dans une station vaale. Puis elle fut saisie d'une escarmouche, d'une embuscade, d'une nouvelle bataille, d'un assassinat, d'un massacre, d'un nouvel assassinat...

L'Archicolonelle se réveilla en sueur. Son corps tremblait, ses sens la trahissaient. Elle regarda à sa gauche, à sa droite, derrière elle, au plafond. Rien. À ses côtés, sa gamelle se vidait au sol. Combien de temps s'était-elle assoupie ? Santhe détestait dormir. Pour elle, c'était se présenter nue face aux cauchemars. Et pourtant il lui suffisait de fermer les yeux pour qu'ils l'envahissent.

— N'est-ce pas difficile ?

Santhe sursauta. La voix lui parvenait d'une cellule annexe, derrière une paroi métallique. Elle utilisait un archelaüsien parfait, presque arrogant. Malgré cela, l'Archicolonelle ne la reconnaissait pas. Les gardes non plus.

Les Humains interdisaient les discussions entre prisonniers, afin de réduire les risques de révoltes. Malgré ce fait, les quatre geôliers qui gardaient le cachot ne semblaient pas l'entendre.

— Ne t'inquiète pas pour eux, Santhe. Ils ne feront pas attention à nous.

— Que veux-tu dire ? demanda enfin l'Archicolonelle. Comment le sais-tu ?

— Je le sais. Je n'ai aucune autre explication à te donner.

La façon dont elle s'adressait à elle l'agaçait.

— De quoi parlais-tu ? Qu'est-ce qui est difficile ?

— Tes symptômes, tes souvenirs et la vanité de tous tes efforts. (L'interlocutrice s'arrêta et souffla, avant de reprendre :) Je suis admiratrice de ta détermination, Santhe. Pas de tes méthodes. Surtout pas cela. Mais tu parviens toujours à garder un objectif en tête. Du moins c'est ce que tu crois.

Santhe se plaqua contre la paroi sale pour mieux entendre l'autre prisonnière.

— Que sais-tu de mes objectifs ?

— Tu veux sauver ton espèce.

Ton ?

— Certes, acquiesça l'Archicolonelle, mais je ne suis pas la seule.

— Tu n'as jamais réussi.

— Parce que Korris est trop puissante, et les Hiérarques trop stupides ! Ils m'ont toujours mis des bâtons dans les roues.

L'Archicolonelle entendit son interlocutrice rire. Santhe ne pouvait pas s'empêcher de murmurer, et jetait un œil prudent sur les gardes. Ceux-ci semblaient complètement sourds.

— C'est dommage. En tant qu'Archicolonelle, tu prends souvent des initiatives, y compris contre l'avis de la Hiérarchie. Mais n'as-tu jamais pensé à agir de façon plus ambitieuse encore ?

— Pardon ?

— Tu pourrais emmener des congénères avec toi et refonder la civilisation archelanne dans un lieu isolé de la planète, où Korris ne vous découvriraient jamais.

Ce fut au tour de Santhe de lâcher un rire. Celui-ci transpirait le cynisme.

— Et comment penses-tu que la nouvelle civilisation survivrait sans que les Humains la trouvent ? Sans qu'ils nous réduisent en cendres ?

— Il y aura des raisons.

Aura ?

— Je ne te comprends pas.

Elle ne réagit pas.

— Je ne te crois pas non plus, ajouta Santhe.

Nouveau silence.

— Donne-moi plus d'informations là-dessus, insista-t-elle. Pourquoi ne me réponds-tu pas ?

Un geôlier s'approcha des barreaux. Celui-ci ne portait pas de casque. Son visage d'Humain arborait une moustache terne, des cheveux noirs et la peau sombre. Santhe reconnut néanmoins sa démarche. C'était lui qui l'avait frappé, et le même qui l'avait amené ici.

— Tu dois retourner travailler, monstre, cracha-t-il en korrisien.

Santhe ne fit pas plus attention à lui et se tourna à nouveau vers la paroi, mais son interlocutrice demeurait muette.

— Allez, dépêche-toi ! s'énerva l'Homme.

Il ouvrit la porte et la pointa avec son arme. L'Archicolonelle se leva enfin et le suivit. En sortant de sa cage nauséabonde, elle se tordit pour apercevoir que la cellule d'où provenait la voix était vide.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant