Chapitre 5-6

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Depuis maintenant plusieurs heures, Santhe et ses compagnons se dirigeaient vers l'est à pas rapide. Ils avaient d'abord rencontré quelques arbres, puis bientôt ils entrèrent dans la forêt elle-même. Quelque temps après leur départ, Halekeis s'était réveillé, surpris de se retrouver sur les épaules de l'Archicolonelle. Celle-ci lui raconta les évènements, mais il ne paraissait pas ravi de leur tournure.

Épuisés, ils convinrent de s'arrêter entre quelques troncs disposés de façon à les dissimuler de leur poursuivant.

— On aurait dû régler son compte à ce... ce vaurien ! explosa Halekeis sans prévenir.

— On ? sourit Santhe. Vous voulez dire moi ? Vous étiez assommé et Kaal impuissante. Vous vous seriez fait tuer si nous étions restés.

— Tout de même. Elle aurait dû l'écraser avec le cab, ou vous-même vous vous en occuper. Êtes-vous la terrible Archicolonelle, oui ou non ?

Celle-ci sortit sa flasque de vipérine et la débouchonna.

— Ce n'est pas un simple vieillard Vaal. L'âge ne l'a pas diminué. Il demeure fort avec les mots, certes, mais aussi les poings. Vous l'avez vu, n'est-ce pas ?

— Oui, mais vous pouviez l'éliminer, plutôt que de fuir en lâche.

Santhe laissa un petit silence s'installer pour digérer l'insulte et forcer la réflexion chez l'aristocrate. C'est froidement qu'elle lui lança :

— Je cherche avant tout à sauver notre espèce, et non à satisfaire une vengeance qui vous restera en travers de la gorge. Que je ne vous reprenne plus à critiquer mes actes, sinon je ferais taire votre ire à jamais.

Tous restèrent muets durant de longues minutes, trop gênés ou apeurés pour parler. Même la faune semblait se taire, mais avec patience les oiseaux reprirent leurs chants, puis les reptiles leurs cris. Il n'y eût que Kaal qui osa briser le silence :

— C'était une mauvaise idée de rentrer dans cette forêt. Je vous l'avais dit, mais on y est maintenant ! On risque de mourir !

— C'est étrange, sourit l'aristocrate. As-tu peur des esprits malveillants ? Des damnés ? Je ne te pensais pas superstitieuse...

— Oh, toi, ta gueule ! Des pillards. Ce sont des putains de pillards qui habitent dans ce coin. On va se faire trucider dans notre sommeil.

Santhe finit une gorgée de vipérine puis la rangea dans son sac et se tourna vers la méchaniste.

— Ce sont des bandits ? Des déserteurs ? Des bandes d'enfants ?

— On m'a appris que c'étaient des Archelans, mais certains disent aussi que ce sont des Vaals ou même des Insectes de Verre.

— Cette engeance a disparu depuis combien... mille cycles ? reprit Halekeis avec un sourire de travers. Quels idiots peuvent croire que ce sont des Insectes de Verre ?

— Probablement des gens comme toi, aristo de mes...

— Peux-tu continuer ? insista Santhe avec calme.

— Oui, bien sûr. Je sais pas exactement s'ils sont réels ou non, mais quand je passais dans les villages autour on me racontait qu'on retrouvait certains égorgés dans leurs tentes.

— Selon toi, dans quelle zone de la forêt se dissimuleraient-ils ?

— Les pillards ? Aucune idée. Profondément, c'est sûr. Mais leur territoire doit s'étendre à toute la région sous les arbres et peut-être même sur les îles volantes au-dessus.

Santhe leva sa tête. Entre les cimes qui les cachaient partiellement, elle pouvait apercevoir ces grands archipels célestes, reliés çà et là par les végétaux.

— Après, on peut passer par les îles, en grimpant sur les lianes et lierres, continua l'adolescente.

— Mais une chute paraît ô combien mortelle, remarqua Halekeis. C'est fort dangereux, sinon suicidaire.

— Halekeis a raison, nous ne pouvons pas traverser par là.

— Si on contourne par les montagnes Sithìs, au nord, on pourrait éviter leur territoire avec près de quatre-vingt-douze heures de retard.

— C'est bien trop. Nos frères et nos sœurs sont en train de mourir. Je ne veux pas que nous arrivions pour trouver des camps vides. Rien d'autre ?

— Non.

— Nous devrons passer par la forêt.

— Mais...

Si les pillards ne sont pas issus de légendes et qu'ils cherchent à nous tuer alors nous les éliminerons.

— Plutôt les massacrer, vous connaissant... intervint l'aristocrate.

— Peut-être bien. Si c'est nécessaire.

— Mais ils vont nous attaquer dans notre sommeil ! insista la méchaniste.

— Nous dormirons donc dans les arbres. Nous garderons nos camps selon un roulement plus précis. Il me semble même que tu détiens des capteurs de proximité.

Kaal réfléchit un instant.

— Oui, j'en ai. Mais c'est quand même...

— Si ce sont effectivement des pillards, ils doivent posséder de nombreux trésors que nous ne serions pas obligés d'abandonner...

Santhe vit les yeux de l'enfant s'illuminer.

— Dans tous les cas, reprit l'Archicolonelle, ne vous inquiétez pas. S'ils existent, ces pillards ne représenteront pas autant de danger que Renze ou Tsy'kar. Nous pourrons les combattre sans problème.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant