Chapitre 8-3

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Enfin parvenu en haut, l'aristocrate s'agenouilla, essoufflé.

— Ne... Ne pourrions-nous pas... faire une pause ? Pour nous reposer...

— Depuis quand on est debout ? demanda Kaal, qui rampait presque.

— Vous voulez dormir maintenant ? s'enquit l'Archicolonelle, inquiète. J'accepte la pause, mais pas le sommeil. Reprenez-vous. Nous n'avons pas le temps.

— Donnez-nous vingt minutes, je vous en supplie ! Vingt petites minutes !

Santhe fit de son mieux pour masquer sa préoccupation. Le repos était nécessaire, certes. Mais à quel prix ? Ces gamins pouvaient-ils comprendre l'horreur des cauchemars ? De ses cauchemars ?

— Non. Pas maintenant. Nous y sommes presque.

Le hall dans lequel ils entraient apparaissait étroit, mais très haut. Une atmosphère d'intensité les écrasait à nouveau, de façon plus distincte encore. La brume, plus épaisse, inondait le chemin devant eux telle une nuée obscure. Leur respiration devint plus sifflante, plus lourde. Plusieurs fois, l'Archicolonelle se surprit à devoir reprendre son souffle.

Halekeis s'arrêta. Épuisé, il retint sa chute sur la paroi noire de jais.

— Je... ne peux plus, s'étouffait-il. Je marche dans de l'eau. Mes pieds s'enfoncent. Ces ruines sont... elles aspirent ma vigueur.

— Je sens quelque chose aussi, avoua Santhe. Plus nous avançons, plus il est difficile de continuer.

— Ce couloir est maudit. Il nous conduit à notre trépas. Tout à l'heure, je datais ce mausolée d'avant le Crépuscule. Mais à présent, je pense qu'il en est contemporain.

— Malédictions, Crépuscule, tout ça, c'est des ragots que les vieillards racontent aux enfants, railla la méchaniste. Au mieux, c'est des légendes.

— Tu pourrais être sur... surprise, Kaal. Ce genre de chose...

Il s'effondra contre le mur. L'adolescente tenta de le rattraper dans sa chute. Santhe souffla.

— Bon... Dormez. Deux heures. Pas plus. Kaal, règle ton ligebrace pour vous réveiller en même temps. Je vais monter la garde.

— Merci. Merci, mais est-ce vraiment utile ?

— Je suis d'accord avec l'aristo. On est dans des ruines à je-sais-pas combien de mètres sous-terre. À part une soi-disant malédiction, y'a rien qui pose problème. Vous devriez dormir aussi.

— C'est une mauvaise idée. Renze et les autres ont pu nous suivre. Dormez, vous. Et gardez les armes à votre portée.

L'aristocrate s'allongea contre le mur. De son côté, Kaal s'éloigna de quelques pas en voyant que son compagnon prenait de la place. Elle lui tira la langue avant de l'imiter. Ils éteignirent leurs ligebraces. L'obscurité régna dès lors. Santhe demeurait agenouillée, les yeux fermés, mais l'oreille attentive. Comme la veille, Halekeis ronflait et l'ingénieure sifflait dans leurs sommeils respectifs.

Ses articulations tremblaient toujours, et les visages réapparaissaient. Comme magnifiés par l'atmosphère lourde, elle put en reconnaître certains.

Des Peìréens, des rebelles d'Iyirán, de Kalheì et de Jìhí. Ils avaient refusé de combattre l'Humanité. L'Archicolonelle avait dû prendre les choses en main. Leurs cris revenaient quelques fois. Cet enfant dans les bras de sa mère, ce père de famille qui avait formé son fils à résister au gouvernement, ce vieillard qui haranguait les foules, les foules elles-mêmes... Il lui suffisait de fermer ses paupières pour voir à nouveau ces dizaines de milliers de regards : Humains, Vaals, Archelans, tous maculés de sang et de haine.

Elle était le bouc émissaire idéal. Et non sans raison.

Elle redressa sa nuque subitement. La fatigue l'écrasait maintenant de façon anormale. L'Archicolonelle était maîtresse de son corps et de son esprit. Elle ni personne ne pouvait la faire trébucher dans la faiblesse interne ! Pourtant, les ténèbres devenaient lourdes. Elle le sentait, Halekeis n'avait pas halluciné comme elle, l'obscurité lui saisissait le cœur aussi. Ses membres fléchissaient. Une présence millénaire l'appesantissait dans le sommeil. Dans un dernier effort, elle tenta d'empoigner sa lame pour se blesser, ce qui, elle le pensait, l'aurait permis de résister, pourtant même répandre son sang s'avérait futile face à cette force crépusculaire.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant