Chapitre 9-2

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Santhe se réveilla à la suite d'un nouveau cauchemar. Il faisait nuit. Elle avait son arme dans la main. La sécurité semblait déverrouillée. Elle alluma son ligebrace : il était une heure du matin. Halekeis ronflait quelques mètres à proximité. Il se tenait la tête en bas dans un reste de petit cratère ancien. Kaal dormait non loin, entourée de ses gadgets dont Santhe n'avait plus le souvenir.

L'Archicolonelle se leva avec lenteur. Son armure de plaques claquait sous ses spasmes. Elle ne l'avait pas enlevée. Le risque était trop grand pour se désarmer, même la nuit.

Elle saisit son épée plantée dans le sol dans le cas d'un combat et la rengaina. Des oiseaux nocturnes chantaient. Des dragons des jungles barrissaient au loin, en canon avec des amphibiens en pleine parade. Les battements du cœur de Santhe s'espacèrent, sa main vacilla moins fort, ses pupilles reprirent leur taille naturelle.

Elle souffla.

Alors qu'elle se relevait pour se dégourdir les jambes, la ruine de l'ancienne pagode à côté de laquelle elle avait dormi se trouvait toujours là, couverte par la végétation. Aucun nouveau bombardement ne l'avait vitrifié, aucun idiot de Renze ou de comte bourru ne l'avait rasé. Aucun monstre mécanique ne les avait dévorés en contournant ces mêmes ruines.

D'une pensée, elle remercia Kaal d'avoir installé les mines de proximité. Ils avaient pu se reposer sans risquer de mourir dans leur sommeil. Halekeis leur avait dit la veille qu'il pouvait sentir le sol trembler grâce à son sens archaéen, et donc savoir si des ennemis arrivaient, mais l'Archicolonelle avait du mal à le croire en entendant ses profonds ronflements. De plus, l'aristocrate paraissait plutôt dans l'état d'esprit à utiliser le Feu, en ce moment, et non la Terre. Ses émotions relevaient plus de l'intensité que de la concrétude. Telle était la difficile loi de l'archae, outre la connaissance nécessaire à une maîtrise digne de ce nom.

L'Archicolonelle compta ses munitions spéciales et déglutit. Elle devait se reposer sur sa lame aiguisée et des tirs précis, puis utiliser des balles classiques le reste du temps. Ce ne serait pas facile, certes, mais elle avait connu pire. Elle se souvenait encore de ce moment où elle avait dû se battre sans jambes en plein milieu du no man's land.

Kaal se réveilla en sursaut, elle aussi. Santhe remarqua sa respiration courte, rythmée et ses yeux hagards. Puis l'adolescente reprit ses esprits et considéra l'Archicolonelle avec un sourire ; sourire qu'elle refoula aussitôt lorsque sa mémoire lui revint.

Santhe ne dit rien. Au moins, la petite ingénieure allait mieux. L'Archicolonelle se tourna vers l'aristocrate, toujours pas éveillé. D'un pas vif, elle s'approcha de lui et dégaina son pistolet. Un filet de bave coulait sur le bord de sa bouche tandis qu'il ronflait, tête à l'envers.

L'air explosa. La balle standard traversa le ciel en secouant les alentours d'une onde de choc. L'Archicolonelle elle-même ferma les paupières tant le contraste avec le silence nocturne semblait grand. Les animaux se turent, et l'aristocrate se réveilla, ahuri, tandis que Santhe rangeait son arme dans son holster.

— Êtes-vous folle ?

— Habillez-vous. Nous devons partir.

— C'est tout ? Mon cœur a bien failli lâcher !

Elle attendit devant lui, bras croisés. Il se vêtit en bougonnant alors que Kaal réprimait un rire. D'un geste agacé, il saisit Lente Vindicte et l'attacha à sa ceinture.

Une fois prêts, les trois Archelans se regardèrent. Santhe avait entendu quelque chose, comme des pas.

Une explosion survint une dizaine de mètres sur la gauche de l'Archicolonelle, puis une seconde derrière elle. Les mines ! se souvint-elle.

Elle se retourna et pointa aussitôt son arme vers les buissons pour faire feu tout autour. Les embusqués, peints de vert et de noir, sautèrent vers eux. D'un revers de main, elle tua net le plus proche d'un coup de crosse puis trancha en deux un autre en dégainant son épée, mais ils étaient trop nombreux. Kaal se baissait, les poignets sur la tête, paniquée, tandis que Halekeis tentait de tirer les commandos humains qui s'entassaient sur l'Archicolonelle. Malgré sa rage, ils l'immobilisèrent et le plaquèrent au sol lui aussi. Dans la boue, il pestait contre eux puis contre Santhe pour sa bêtise alors que cette dernière réussissait encore à briser le bras d'un des assaillants.

Ils leur passèrent chaînes et menottes. L'aristocrate eut droit à des liens en ermhil, métal verdâtre, pour stopper tout flux d'archae en lui. L'Archicolonelle, elle, reçut de l'or, serré de verrous magnétiques, pour qu'elle ne les surprenne plus comme avec le seigneur Yadorr. Tous trois furent agenouillés et mis en joug.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant