Chapitre 12-3

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L'immensité de l'espace s'ouvrait dans le centre de contrôle du KOR Nog, vaisseau baptisé selon le verbe korrisien Nogil qui signifiait « exiler de force » ou « asservir », venant de l'ancien korrisien Negriler.

Les étoiles, innombrables, partageaient le ciel avec la nébuleuse colossale qui formait cet « Arbre des Mondes » que tous les peuples semblaient reconnaître dans sa forme. Était-ce le petit-Être qui avait insufflé cette idée commune chez les Humains, les Archelans et les Vaals, se demandait Renze, ou avaient-ils tous trois découvert cette ressemblance indépendamment ?

Ses songes se perdirent lorsqu'un militaire annonça l'arrivée de Tsy'kar. Le Vaal entra, suivi de deux soldats fidèles à lui. Le limier ne s'ennuya pas à faire la révérence. Il leur tournait le dos sur le siège délabré du capitaine de vaisseau.

— Pourrais-je discuter avec vous ? intervint le vieil ermite.

— Venez. Vous me ferez de la compagnie.

Le géant s'approcha et s'assit à la place du second-en-chef.

— Sommes-nous prêts à quitter le système stellaire ?

— Non, fit Renze, regardez.

Il pianota sur une interface physique vétuste, constituée de boutons métalliques. La salle de contrôle pivota, sous le ventre du vaisseau, vers Orumae, l'étoile du système. Bien qu'ancien, le dispositif de sécurité opacifia la paroi translucide avant même que la lumière d'Orumae ne les aveuglât. Ils purent ainsi regarder dans le sens opposé à leur trajectoire. La nébuleuse et les autres corps — sauf Orumae qui dominait la vue en un cercle étroit qui brillait à leur droite — avaient disparu. Les filins grossiers de l'Arbre des Mondes apparaissaient en brun sombre, mais, à cinq kilomètres d'eux, une forme grisée se dessinait. C'était leur deuxième vaisseau négrier, le KOR Deskalf. Renze pointa le centre de la paroi, d'où un petit point cyan perçait la toile obscure.

— Nous sommes à un quart d'unité astronomique d'Archelaus. Nous devons nous en écarter pendant encore une heure avant de pouvoir passer en hyperespace et quitter le système pour celui de Korris.

Le limier tourna à nouveau la salle pour viser les étoiles, qui reprirent de leurs couleurs au milieu des galaxies éloignées, très éloignées.

— Je voulais vous demander si je pouvais parler à l'aristocrate dans la prison, toutefois je remarque en vous du besoin. Les dieux ont la bonté de laisser les êtres diriger leurs pas, pourtant nous ne pouvons nous libérer de notre passé. De quoi ne pouvez-vous vous libérer, Archelan ?

— Je vais très bien, Tsy'kar, merci pour votre sollicitation. Je me sens juste... vidé.

— Comment ?

— Lorsque nous sommes arrivés à Zhaìl, j'ai croisé le « directeur général des camps de travail arkelaüniens ».

— Oui, je vous revois avec lui.

— Il a laissé entendre que de nombreux seigneurs lui avaient supplié de lancer le plan de suprême résolution.

— C'était prévisible. Même avant que sieur Pelias n'aille rejoindre les dieux de Korris, bien des nobles voulaient mettre fin aux Archelans.

— En effet. Pourtant il n'avait obéi à aucun d'eux, « car ce n'étaient pas ses liges », disait-il. Il prêtait allégeance à quelqu'un de différent.

Le vieil assassin lâcha un long souffle.

— Dardarel...

— Oui, il était sous les ordres du grand-duc et de personne d'autre, sinon le roi. Cela signifie que lui seul a pu donner son feu vert. Dardarel voulait que nous tombions sur des cendres. C'est lui qui a génocidé mon peuple.

— Cela ne change rien, Renze. Ne laissez pas cela vous consumer. Le grand-duc sera bientôt trahi, et le traître sera lui-même trahi. Le cycle des machinations ne s'est jamais arrêté sur Korris, mais juste freiné. Il reprendra lors de la mort de l'Archicolonelle, car ils cesseront de s'unir dans leur ivresse de sang. Les hommes se détruiront mutuellement et la vie intelligente interrompra son cours. La paix régnera.

— J'aimerais accélérer cela. Tsy'kar, vous aussi, n'est-ce pas ?

— À semer du sang, je n'en ai récolté que du plus amer encore. Je comprends cependant votre volonté.

— Vous reste-t-il quelques contacts proches du grand-duc ?

— Oui. Voulez-vous que je lui envoie nos salutations ?

Renze acquiesça en silence. Son regard se perdait dans les profondeurs de l'espace, d'où deux points clairs émergeaient par rapport aux autres. Loin d'être de petites étoiles, il voyait en fait Ashthad, la géante gaseuse, et Lorus, sa lune pâle et froide.

— Que ferez-vous lorsque nous aurons terminé, Tsy'kar ?

— Je reprendrai ma fin de vie sur votre belle planète.

— Et les monstres d'acier ?

— Peu m'importe. Archelaus est grande. Je trouverai une île isolée ou une montagne solitaire. (Il sourit) Connaissez-vous le conte de la montagne solitaire ?

— Non. Je ne la connais pas.

— C'est une vieille histoire vaale qui, selon la légende, aurait été racontée par le petit-Être lui-même avant qu'il ne trahisse les dieux en reniant son adoration.

— Sans façon, Tsy'kar. Je n'ai pas le cœur à cela.

— Très bien.

Il fit une pause, où il regarda lui aussi dans la direction de la lune qui l'avait vu naître.

— Et vous, qu'adviendra-t-il de vous après notre mission achevée ?

— Je ne sais pas du tout.

— Est-ce ce pour quoi vous semblez si mélancolique ?

— Peut-être. Depuis ce jour où elle m'a abandonné, j'ai compris que je devais l'arrêter. J'ai toujours vécu pour elle depuis ce moment.

— C'est une vie aigre.

— Oui, en effet. D'autant plus que je ne poursuivais pas ma mère pour les bonnes raisons. Enfin, si, mais pas les raisons normales.

— Rien n'est normal en ce monde.

— J'avais au moins comme espoir d'aider mon peuple à reconstruire la civilisation après l'avoir sauvé de ses griffes, mais maintenant, il n'y a plus rien. Je vous remercie tout de même d'être venu. Nous sommes les seuls non-humains dans nos deux vaisseaux et votre présence me rassure. Il y a bien Lasber. Il semble plus Archelan qu'Humain. Pourtant, vous êtes plus loyal encore.

— Je vous remercie de même, surtout pour me reconnaître ainsi.

— Vous pouvez discuter avec Halekeis, et même Kaal, si vous le désirez, mais n'adressez pas la parole à l'Archicolonelle. Je veux qu'elle mijote dans sa folie. Ça la gardera d'être un danger.

Le géant fit la révérence à la façon Vaale et repartit, suivi de ses deux soldats, dans le cadre de la sortie.

— Tsy'kar, l'interpela Renze.

Le Vaal se retourna lentement.

— Pourriez-vous demander à Lasber de venir sur ce vaisseau ? Nous devons réparer les accumulateurs des boucliers.

— Très bien. Je le préviendrai.

Tsy'kar disparut et l'Archelan tourna à nouveau son siège vers l'immensité vide. Après quelques minutes, il fixa un groupe d'étoiles.

Petites lucioles, êtes-vous aussi sous Son joug ?

Des lumières rouges remplirent soudain la salle, uniformément. Une alerte vive criait en boucle, déchirant les oreilles. Tsy'kar réapparut dans l'encadrement de la porte.

— Santhe n'est plus dans sa cellule !


Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant