Chapitre 3-3

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Elle les guida en travers de deux pics rocheux puis d'une forêt de bambous cendrés, d'où émergeait une gigantesque statue décapitée de la période œcuménique. Peut-être le petit-Être lui-même avait détruit cette structure qui le représentait, se dit Santhe. Il avait mis fin à ce régime qui pourtant l'adorait comme dieu, laissant ainsi sa place à l'aristocratie des perles, puis à la Hiérarchie, trois-cents cycles plus tard.

Les trois Archelans cheminaient sur un sentier abandonné quand Kaal leur fit découvrir une plaine sinistre. La brume ne s'était pas encore levée sur le champ de bataille des Pétales d'ébènes, mais une lueur bleuâtre planait. Telles des îles montagneuses, des carcasses gigantesques de vaisseaux de guerre dépassaient de l'océan de squelettes et de débris. Des millions de cuirasses évidées par le temps gisaient encore là entre les cratères vitrifiés et les armes fracassées. Halekeis tentait de ne pas les piétiner, Kaal sautait entre chacun, mais Santhe marchait vite sans même tenir compte de ce qui se trouvait sous ses pieds. Elle s'arrêta pour fouiller une caisse. L'aristocrate regardait autour de lui.

— Je ne m'attendais pas à... à autant de...

— Cadavres ? termina Santhe. Ce fut l'une des plus grosses batailles sur le sol d'Archelaus.

L'Archicolonelle saisit dans la caisse un pistolet lourd avec des munitions bariolées. Elle les identifia toutes selon leurs fonctions : perce-blindage, inflammable... Elle soupesa l'arme avant de la pointer dans le vide.

— Pourquoi traverser une telle plaine de désolation ? continua Halekeis. Nous aurions très bien pu nous équiper autre part.

Santhe se tourna vers lui avec un grand sourire sardonique.

— Où comptiez-vous aller ?

— Je ne sais pas exactement. Pourquoi pas une armurerie en ville ? Zinth est à deux jours encore. Et Kaal a du matériel elle aussi.

— J'ai pas d'arme, intervint-elle derrière tandis qu'elle rentrait la tête dans une petite épave de chasseur en archalène. Pas encore. Ça, et même si j'en avais, ça ne serait pas gratuit. Je suppose que vous n'avez pas d'argent. J'aimerais bien me tromper.

— Non, Kaal. Nous n'avons rien.

Santhe rangea son pistolet dans un étui sur une ceinture qu'elle avait trouvée puis tourna le dos à la méchaniste et l'aristocrate à la recherche d'autres trésors.

— Nous avons tout le nécessaire ici, ajouta-t-elle. Il suffit de se servir.

Le dégoût emplit le visage de Halekeis lorsqu'il observa l'horizon sépulcral.

— Comment personne n'a-t-il rien pillé jusqu'au mètre sous la terre ? Je vois de quoi équiper une armée entière.

— Oh, si, y'a eu des pillards, dit l'adolescente. Les Humains ont chopé tous les réacteurs Oru des vaisseaux, des akarins et des Itharis pour garder les précieux cailloux. Moi et potentiellement d'autres Archelans on a piqué le reste dans les épaves. Mais sinon y'a pas eu grand'monde.

— Pour quelle raison ? Je vois des millions de tonnes d'archalène !

— L'humanité a gagné une haine terrible de tout ce qui se rapportait aux Archelans, compléta Santhe. Et nous-même n'avons plus les moyens nécessaires pour se lancer dans un tel projet alors que le royaume nous tient en joug. Mais la raison la plus évidente est la présence de radiations.

— Cette zone est irradiée ?

— Regardez la lumière bleue au-dessus de la plaine, Halekeis. C'est l'effet Sheringof, dû aux bombes sales qui ont saturé le sol d'éléments radioactifs. Mais je sais où passer, Kaal aussi. En attendant, tout ce que vous voyez ici est voué à l'abandon et à l'oubli, comme notre civilisation si nous ne réussissons pas.

Larmes Inhumaines [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant