Ysaé
Mlle Felicity Wheeler était arrivée dans l'après-midi. Elle avait été installée dans une suite, non loin de celle de ses parents située dans l'aile ouest de la demeure.
Le manoir était si grand que c'était la première fois que je m'aventurais dans cette partie de la maison. Marchant derrière Mabel, je fus tentée de triturer de nervosité, le pendentif de Salvor, dissimulé sous ma tunique mais je me retiens. Personne ne devais savoir que l'initial de mon amant reposait au creux de mes seins. Sans quoi ce serait la catastrophe. Cependant, malgré le danger que je savais encourir et le fait que Salvor exigeait que je ne le porte qu'en sa présence, je n'avais pas pu me résoudre à me défaire du précieux cadeau de l'amour secret de ma vie.
L'appartement de Mlle Wheeler lorsque j'y pénétrais à la suite de Mabel était un bel et vaste endroit. Au milieu se trouvait un immense lit aux quatre coins duquel s'élevaient des piliers en acajou massif d'où pendaient de légers rideaux blancs. Aux deux grandes fenêtres ouvertes, virevoltaient sous la douceur du vent tiède de l'après-midi, des draperies ivoire. Une banquette aux pieds du lit recouvert d'un tissu bleu richement ouvragé, rappelait le ton du tapis tout aussi richement ouvragé qui entourait le lit. L'armoire, le petit salon avec ses chaises en rotin et la coiffeuse devant laquelle Mlle Wheeler magnifique en beauté se tenait déjà assise telle une reine se contemplant dans son miroir, étaient également en acajou massif. Un grand fauteuil blanc en dessous duquel se trouvait un petit tabouret de la même couleur, complétait de décor. La porte au fond de la chambre donnait sur une grande salle d'eau qui contenait une énorme baignoire en cuivre doré.
Mlle Felicity Wheeler en m'apercevant derrière Mabel, leva vers moi son visage méchant.
Et je ne fus guère surprise de voir émerger sa vraie nature. Celle qu'elle avait tenté dissimuler tant bien que mal de le jour où, il y avait des années de cela, elle avait croisé mon regard lorsque Salvor, Mlle Lorys, Shakur et moi, étions allés dans la plantation de coton de ses parents.
-Voici vote femme de chambre, Mlle Felicity. Annonça Mabel.
-Laisse nous! Aboya ma nouvelle maîtresse d'un ton hargneux
-Y a pas qu' moi qui t' déteste, me souffla Mabel en quittant la pièce après s'être incliné devant ma nouvelle maîtresse.
-Approche, cracha Mlle Felicity.
En entendant son ordre, je m'approchai de sa chaise.
Là, elle passa de longues secondes à me regarder dans le plus absolu des silences.
-Baisse les yeux! Hurla t-elle comme une folle.
Je su qu'elle allait me frapper.
Je le su.
Parce que j'avais lu la pensée se refléter fugacement sur son visage.
Se levant de sa chaise, elle approcha et me gifla rudement. Je chancelai sous la violence du coup. Retrouvant mon équilibre, je m'éloignai d'elle de quelques pas, soutenant ma joue, absolument scandalisée.
-Ça c'est pour l'imprudence avec laquelle tu as soutenu mon regard. Siffla t-elle en avançant vers moi.
Je savais que la rébellion dans laquelle je persistais allait m'apporter d'autres ennuis. Mais je la regardai droit dans les yeux. Inflexible et farouche, plus longtemps que ma condition d'esclave aurais dû me le permettre.
-Et ça, lâcha t-elle après m'avoir envoyé une autre gifle retentissante, c'est pour le regard que tu viens de me lancer à l'instant!
Mes oreilles sifflèrent. Et je baissais immédiatement les yeux. Je savais pertinemment ce que Mlle Felicity cherchait à faire. Pour une raison que j'ignorais elle semblait m'avoir prise en grippe. Elle voulait me pousser à bout, que je lève la main sur elle et ainsi me faire fouetter au poteau des supplices jusqu'à ce que mort s'en suive.
Ça aussi, je l'avais lu sur son visage.
-Je connais les petites chiennes d'esclaves comme toi. Cracha t-elle. Celles qui courent après leur maître.
Je la regardai, interloquée.
-Maintenant, range mes effets dans l'armoire et va faire repasser la robe que je mettrais pour le dîner de ce soir!
L'esprit plein de confusion, je m'exécutai en rangeant ses affaires dans l'armoire et allai illico, les joues en feu, porter pour Delly, la magnifique robe de soirée mordoré de Mlle Felicity qui ferait sensation durant le dîner et ferait sans aucun doute, ressortir le brun cuisant de ses ravissant yeux marrons.
****
Étant assigné au service personnel de Mlle Felicity Wheeler, mon travail consistait outre le fait de m'occuper de sa toilette, de ses robes, de sa coiffure et de chacune de ses envies, à la suivre comme son ombre partout où elle irait pour devancer le moindre de ses désirs.
A un mètre de distance d'elle, je descendais à sa suite et pour la première fois de ma vie, l'un des deux monumentaux escaliers de la gigantesque demeure des De brym.
Arrivée en bas des marches, mes pauvres chaussures tressées d'esclave foulèrent le sol dallé de marbre blanc veiné de noir où les êtres de ma condition ne devraient jamais poser leurs pieds maudits. Au-dessus de ma tête, un énorme lustre d'or et de verre pendait, me réduisant en un instant devant sa magnificence à une insignifiance extrême. Puis je me rappelai, amère, que toute cette magnificence existait en grande partie grâce au sang et la sueur de mon peuple.
Mlle Felicity s'arrêta devant une imposante double porte en bois sculpté, que Georges vêtu d'une magnifique livrée, en s'inclinant avec déférence ouvrit, avant de la conduire à la salle à manger où attendaient déjà attablés, ses parents ainsi que Mr De brym.
Je fus assaillie d'hébétude à cause de la taille et la richesse que dégageait la pièce qui aurait pu contenir au moins une cinquantaine de personne. Les couverts en argent, la porcelaine délicate de la vaisselle et le cristal fin des verres resplendissaient de mille feux sous les multiples sources de lumières. Des tableaux étaient accrochés aux murs, des sculptures ça et là se tenaient figées dans leur pose majestueuse.
J'aidai Mlle Felicity à prendre place autour de la longue table ornée de deux vasques en argent débordant de fleurs et de fruits. Une fois sa robe arrangée comme il lui convenait j'allai me placer à quelques pas derrière elle dos collé au mur, à l'instar des autres asservis qui se trouvaient déjà dans la pièce.
Jetant un regard discret, je remarquai que Mr et Mme Wheeler, faisant face à Mr De brym, étaient engagés dans une discussion des plus animée. Je ne pus m'empêcher d'admirer la tenue de ces dames, leurs éventails qu'elles balançaient d'avant en arrière avec grâce, les boucles de leurs cheveux qui tombaient de part et d'autre de leur visage, leurs bijoux étincelant, la noblesse de leurs gestes lorsqu'elles parlaient doucement ou riaient discrètement.
Mes pensées aussitôt s'envolèrent vers Mlle Lorys qui aurait du être avec elles en ce moment même mais qui à cause son handicap, se trouvait exclu de leur noble société. Je n'allais pas revoir ma maîtresse bien-aimée avant des semaines, pensais je la douleur m'arrachant le cœur.
Alors que je m'égarais dans mes réflexions, la porte de la salle à manger s'ouvrit de nouveau et Salvor fit son entrée.
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Ysaé
RomanceSalvor De brym venait d'un peuple qui dominait le mien, depuis des siècles. Au cours d'une chasse aux esclaves je fus capturée puis vendue sur la plantation de son père, là où les gens de ma condition s'échinaient à longueur de journée aux rythmes...