Ysaé
Je rêvais. Malgré la douleur, toujours là, vicieuse et lancinante qui me faisait souffrir autant que mon estomac vide.
Je rêvais.
Pas de mon île natale.
Pas de mes parents.
Pas des montagnes vertigineuses.
Pas des mers turquoises aux poissons multicolores.
Pas du soleil resplendissant.
Pas de la nuit fraîche, étoilée.
Pas du vent apaisant.
Non.
Je rêvais de tout autre chose.
Je rêvais de mes mains trempés dans le sang de Mlle Felicity.
Du coupe-papier enfoncé dans sa gorge.
De mes dents plantés dans sa chair.
De serrer très fort son foulard autour de son cou.
Du couteau plongeant dans son ventre.
Je rêvais...que je tuais Mlle Felicity Wheeler.
Et j'en étais sûr, ce n'était pas qu'un rêve.
Un jour je la tuerais. Sans aucune pitié. Sans aucun remord.
La porte de la salle de bain s'ouvrit. Mais ce n'était pas Mlle Felicity.
D'habitude quand elle avait besoin de moi ma maîtresse se contentait de hurler mon nom depuis la chambre.
Mon nom? En fait, non. Elle se contentait de Hurler: Chienne! Depuis la chambre.
Mais c'était qui alors? Qui avait ouvert la porte de la salle de bain?
-Ysaé...
Qui m'appelait. Quelqu'un m'appelait. C'était une voix que j'avais déjà entendue.
Une douleur fulgurante, intolérable, transperça mon corps quand j'essayai de bouger. La dernière volée de coups de cravache de Mlle Felicity avait été particulièrement cinglante. Mon cœur se souleva et mon estomac se contracta violemment.
J'ouvris péniblement les yeux. La grosse Betsy.
C'était la grosse Betsy qui avait ouvert la porte et qui était tombée à genoux près de moi. Que faisait elle là?
-B...B...Bet..sy
-Parle pas, parle pas, oh mon ptit, parle pas. Dit-elle la voix engluée de larmes
-Va...t'en...Bet...sy, Mlle...
-Y sont tous partis à Deboug. Y sont pas là. Y rentreront ce soir. Je vais m'occuper d' toi mon ptit. T'inquiètes, j' reviens, attends moi. Bouge pas d'là!
Betsy se leva et sortit promptement. A son retour, j'étais toujours recroquevillée sur le sol du cabinet de toilette dans la même position où elle m'avait trouvée. Me forçant à me redresser, Betsy m'aida à m'adosser contre un meuble. Mais le mouvement fut trop brusque et je chancelai en gémissant. Après quatorze jours de flagellations constants, je souffrais et ma tête me cognait sans arrêt. La plupart du temps j'arrivais à tenir les affres de la faim à distance en m'abreuvant d'eau. Mais depuis quelques jours c'était devenu difficile car je devais mobiliser toutes mes forces pour pouvoir supporter les coups, les travaux et rester debout toute la journée jusqu'à ce que le soleil décline.
Betsy porta une cuillère à ma bouche, que je léchai jusqu'à la dernière goutte. Je reconnu la douce saveur du bouillon de poulet, qu'elle me donna aussi longtemps qu'il restait de la soupe. Il me fallut toute ma concentration pour avaler ce que la cuisinière me donnait.
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Ysaé
RomanceSalvor De brym venait d'un peuple qui dominait le mien, depuis des siècles. Au cours d'une chasse aux esclaves je fus capturée puis vendue sur la plantation de son père, là où les gens de ma condition s'échinaient à longueur de journée aux rythmes...