Salvor
Un silence lourd nous drapait. Quand le feu commença à mourir dans la cheminée, je me levai et ajoutai quelques bûches dans l'âtre. Dès l'instant où les flammes se remirent à danser, j'allai dans la salle de bain récupéré le fichu que Ysaé m'avait demandé. Mais avant de reprendre ma place auprès d'elle, j'attrapai la paire de ciseaux qui traînait sur le bureau. Une fois qu'elle eut recouvert sa tête, je l'entourai de mes bras en la serrant fort contre moi tandis qu'elle faisait de même en ceinturant ma taille. Son odeur m'enveloppa.
Nous restâmes là pendant de longues minutes adossés à la tête de mon lit, tous les deux conscients de ce qu'impliquerait la reprise de notre conversation.
-Il va falloir les égaliser. Murmurais je pour faire diversion.
-Quoi donc, répondit elle légèrement décontenancée.
-Tes cheveux.
Je sentis son humeur chuter et s'assombrir. Elle demeura sans voix. Mes paroles avaient provoqués un immense malaise en elle.
Le silence entre nous dura une éternité.
-Ysaé...
Blottit contre moi elle secoua la tête par automatisme, exprimant un vif désaccord.
-Il le faut, Amour.
Elle enfouit davantage son visage dans ma poitrine, y cherchant désespérément un refuge. Je la repoussai doucement et la forçai à me regarder. Instinctivement elle détourna la tête. Sa honte étant trop grande, elle tentait par tous les moyens de masquer l'émotion qui l'envahissait.
-Ne te cache pas de moi.
Des larmes dévalèrent ses joues. Je l'obligeai à tourner la tête à nouveau pour la remettre dans mon axe. Je voulais qu'elle lise dans mes yeux que je l'aimais, à en crever. Qu'elle ait les cheveux rasés ou long, je m'en contrefichais. Rien chez elle ne me rebutait. Ni les cernes sous ses yeux, ni ses joues creusées, ni son corps qui avait perdu ses rondeurs, ni ses vêtements sales, ni la crasse qui recouvrait son corps avant que je ne lui donne un bain. Rien chez elle ne me rebutait car je l'aimais comme un fou. Elle restait la femme la plus magnifique que j'avais jamais vu. J'aurais pu m'introduire en elle à corps perdu sans que tout cela ne me dérange aucunement et ça aurait été tout aussi bon que toutes les fois où je l'avais prise éperdument.
En scrutant son visage, je réalisai l'ampleur de son humiliation et de son déshonneur. Elle semblait avoir envie de disparaître sous mes yeux et ramper dans un coin pour se cacher de moi. C'était seulement maintenant que je remarquais à quel point son visage était émacié et combien elle avait perdu du poids. Sous mon inspection ses pleurs ruisselèrent de plus belles et je sentis mon cœur se briser d'une manière inexplicable.
Il n'existait aucun mot pour définir ce que je ressentais, la rage, la haine, la douleur, la culpabilité de ne pas avoir été là lorsqu'elle avait eut besoin de moi et un amour démentiel.
Mes mains empaumant son visage, je me mis à caresser ses lèvres tremblantes de mes pouces et de mes doigts, essuyai le sillage de ses larmes.
-Je te demande pardon.
Cette fois-ci elle eut le courage de soutenir mon regard. Et quelque chose se passa entre nous. Un éclair, qui se propagea jusqu'à mon cœur. Je ne savais pas d'où il sortait. Tout ce que je savais c'était que je mourais si elle arrêtait de me regarder ainsi.
-Je te demande pardon de ne pas avoir su et de ne pas avoir été là pour toi, Amour. Sincèrement. Ça ne se reproduira plus. Je te le jure.
***
Ysaé était assise sur la méridienne, une serviette enroulée autour de ses épaules, ses mains tombant de chaque coté de son corps.
Debout derrière elle, je me préparais à égaliser ses cheveux. Ils étaient presque sec maintenant, légèrement humide à la racine.
-Prête.
-Oui, bredouilla t-elle en gardant les yeux fermés, cramponnant ses paumes l'une contre l'autre.
-Tu me fais confiance?
-Oui.
Un sourire envahit mon visage et je ressentis une légèreté dans la poitrine que je n'avais plus éprouvé depuis l'enfance.
-Le jour où mon père a exigé que j'épouse Felicity, j'ai écris à mon ami Lennox pour qu'il m'apporte son aide car pour moi il était hors de question que j'obéisse aux ordres de mon père.
Seules les mains tremblantes d'Ysaé révélaient son émoi.
-Lennox est avocat, continuais je. Cela fait plus d'un an maintenant qu'il vit à Lython. Il connaît les rouages de la loi sur le bout des doigts. Dis-je en commençant à tailler ses cheveux.
-Lython, fit-elle dans un filet de voix.
-Oui, tu connais?
-Shakur m'avait parlé de cette ville. A ce qu'il parait l'esclavage n'existe pas là-bas.
Je m'arrêtai un court instant. Le nom de Shakur résonnant désagréablement dans mes oreilles une étincelle de feu brûla un coté bien précis dans mon cœur. Quand cesserais je d'être jaloux de quelqu'un qui n'existait plus? N'ayant pas l'ombre d'une réponse, je me remis a tailler.
-C'est vrai. L'esclavage n'existe pas là-bas. Ou plus précisément l'esclavage y à été abolit, il y a plus de cent cinquante ans.
Tout en continuant à égaliser ses cheveux, je lui exposai mon plan.
-Avec Lennox nous avons pu trouver une solution. Elle est risquée et nécessite une planification minutieuse. Mais il n'y a pas d'autre moyen. Si je veux échapper à ce mariage je dois impérativement quitter Palanques. Donc, nous irons à Lython, Lorys, toi et moi.
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Ysaé
RomanceSalvor De brym venait d'un peuple qui dominait le mien, depuis des siècles. Au cours d'une chasse aux esclaves je fus capturée puis vendue sur la plantation de son père, là où les gens de ma condition s'échinaient à longueur de journée aux rythmes...