Chapitre 132

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Salvor

A quelques heures du dîner, mon père organisa une petite entrevue dans la bibliothèque. Selon ses dires, les nouvelles inquiétantes qui lui étaient parvenues alors que nous étions à Debourg en train de faire des emplettes de dernières minutes, nécessitaient qu'il nous mette immédiatement, Mr Wheeler et moi au courant. 

La pièce tapissée de livres disposait d'une cheminée de marbre blanc flanquée d'une douce flambée. Une table basse ovale régnait au milieu de fauteuils chocolats confortables, un tapis recouvrait le sol. Une table de billard en acajou, une autre en padouk ébène représentant un plateau d'échecs, un globe céleste ainsi que des miroirs sertis de cadre dorés, rehaussaient la sensation d'opulence de l'endroit. Il y avait également un bar remplit de liqueur et de rhum de grands crus. Je pris place dans un fauteuil face à mon père tandis que Mr Wheeler s'installait à coté, sur un canapé. Reynolds nous servit une sélection de liqueur dans des verres en délicat cristal contenant des petits morceaux de glace. Laissant les liqueurs sur la table basse à coté d'un coffret remplit de cigares pour que nous puissions nous resservir si nous le souhaitions, il repartit non sans s'être profondément courbé au préalable.

J'observai attentivement mon père, cherchant à déceler sur sa physionomie la moindre information qui me permettrait de savoir pourquoi il avait jugé bon de nous convoquer avant le dîner. Mr Wheeler, ne se posant apparemment pas les mêmes questions, descendait sa liqueur comme s'il s'agissait d'un prix qu'il voulait rafler. Posant son verre vide sur la table, il s'essuya la bouche du revers de la main avant de se resservir et de répéter l'opération quatre fois de suite. Mon paternel, après avoir ajouter quelques éclats de glace dans son verre, prit enfin la parole:

-Il y a deux jours de cela, un groupe d'abolitionnistes à été arrêté près du quartier d'affaires de Palanques.

-Les fils de putains! Éructa Mr Wheeler exalté par les shots successif de liqueur. Que faisaient ils là?

-Ils distribuaient de la littérature anti-esclavagiste aux passants, comme d'habitude.

-Ces fils de garces! Que leur a t-on fait? Dites moi qu'on leur a fait quelque chose, Nicholéas!

-La milice les a arrêtée, rouée de coups puis recouverts de goudron chaud et de plumes avant de les jeter en prison afin qu'ils soient exécutés comme les traites à la nation qu'ils sont.

-Haha, bien fait! Comme cela le reste de cette engeance malfaisante qui pullulent dans Palanques, saura on ne transige pas avec les abolitionnistes! Claironna Mr Wheeler en faisant tinter son verre contre celui de mon père.

Installé confortablement dans mon fauteuil, ne me souciant aucunement de savoir si Lennox faisait partie des abolitionnistes arrêtés, je sirotais mon verre de liqueur tout en écoutant la conversation d'une oreille distraite. Cela faisait plus d'un an maintenant que mon ami ne résidait plus en ville. Je le savais fort bien puisque c'était moi qui l'avait aidé à fuir la capitale.

Un jour, alors que je séjournais dans mon hôtel particulier à Palanques, j'avais été réveillé au beau milieu de la nuit par Lennox qui entrant par effraction par la fenêtre de ma chambre, était venu trouver refuge chez moi. Les vêtements sales et en lambeaux, il m'expliqua après quelques rasades de whisky, être tombé dans un guet-apens tendu par la milice antiabolitionniste qui écumait les rues de la ville en quête de traites au gouvernement à trucider. Par un heureux miracle il avait réussit à échapper à ses poursuivants. Ce qui n'avait pas été le cas pour le malheureux qui l'accompagnait et qui lui, avait été saisit, recouvert de goudron chaud avant d'être délibérément noyer dans le fleuve. Les hommes de la milice, cachés derrière des arbres au croisement de la Rue Ban Chip et Market Street, avaient tendu une embuscade à Lennox et à son compagnon qui sortaient d'une réunion secrète tenue dans les sous sols d'une des auberges de la ville. Déboulant de leur cachette, les miliciens leurs étaient tombés dessus à bras raccourcis. Un combat s'en était suivit. Lennox n'eut la vie sauve que grâce à sa dextérité au tir. Il avait descendu deux des miliciens mais malheureusement, avait été dans l'incapacité de sauver son compagnon entraîné dans les rues par le reste de la troupe pendant qu'il se défendait.

J'avais secouru Lennox en le cachant dans la cave à vin de l'hôtel particulier sans que les esclaves de la maison s'en aperçoivent. Pendant des semaines les hommes de la milice furetèrent partout comme des chiens enragés à sa recherche, sillonnant la capitale de long en large, surveillant les routes, le port, les quais et les voies ferrées. Un billet, le même que l'on émettait pour un esclave en fuite avait été établit à son encontre, ce qui prouvait l'acharnement de celui ou de ceux qui cachés derrière les miliciens voulaient se saisir coûte que coûte de lui. Son signalement ainsi qu'une forte récompense pour qui le capturerait mort ou vif y avait été inscrit. J'étais persuadé que le réseau abolitionniste dont il était devenu le chef avait été infiltré. Sinon comment les miliciens auraient su exactement où le trouver ce soir-là. Un instant je soupçonnais oncle Robert être dans le coup mais n'ayant pas d'informations corroborant cette défiance, je décidai de garder mes soupçons par-devers moi et ne pas accabler Lennox. Lorsque après quelques renseignements glanés discrètement auprès du gouverneur, j'appris à Lennox que le cabinet d'avocat pour lequel il travaillait avait été vandalisé, que sa demeure avait été caillassée, que l'aubergiste chez qui la réunion s'était tenue avait été pendu et que certains de ses compagnons furent exécutés sans sommation tandis que d'autres avaient fuis, le choc l'avait tétanisé plusieurs jours durant. Sa seule consolation fut de savoir que ses parents habitant dans une autre ville n'avaient pas été inquiétés.

Pour couronner le tout, un décret de fouiller chaque habitation de Palanques était tombée, faisant planer une menace de saisissement des biens sur tous ceux sympathisants ou non, qui oseraient donner refuge à l'insurgé et a ses complices. Certes, la position que mon père occupait à la tête du haut conseil de la ville, exemptait à notre hôtel particulier d'être fouiller mais Lennox ne souhaitant pas que je subisse l'outrage et l'opprobre publique si sa présence venait à être découverte chez moi, refusait de rester plus longtemps et ce même si il y avait peu de risque que cela se produise. On ne savait jamais avait-il dit, un esclave pourrait entendre un brin de conversation entre nous, il y en avait toujours un qui écoutait aux portes et qui le racontait aux autres qui eux le racontaient à qui voulait bien entendre. Sans compter que les jours qu'il passaient à se terrer paraissaient interminables pour lui. Il exécrait cette sensation de ne pouvoir se déplacer librement et de rester des journées entières à ne rien faire d'autre que se cacher dans une cave étroite et poussiéreuse. Dès lors, son seul espoir résidait à sortir en douce de la ville. 

Par une nuit sans lune, trois mois après ces fâcheux éventements, nous quittâmes enfin la capitale. Après avoir chevaucher sur le dos de Tempête pendant des heures, nous étions arrivés sous les instructions de Lennox, devant un petite cabane où de la fumée sortait de la cheminée et la lueur d'une lampe vacillait derrière des rideaux. Quand nous eûmes mis pieds à terre, Lennox sifflant deux fois attendit quelques secondes avant de répéter l'opération trois fois de suite. Nous dûmes patienter encore un moment avant que la porte de la cabane ne s'ouvre et qu'un homme blanc d'une cinquantaine d'années apparaisse sur le seuil. S'approchant de nous, l'homme dit:

«Le passage n'est jamais obstrué».

«Car il n'y a jamais eut de passage» répondit Lennox.

L'homme enchaîna:

«Vous deux?»

«Un seul»

L'homme nous détailla un instant, puis dit:

«Que celui qui veut passer, se dépêche.»

Avant de nous séparer, Lennox et moi nous entretînmes rapidement.

«Je crois qu'il est temps pour moi d'y aller» avait-il lancé, le visage défait, le regard noyé d'eau.

«Jamais je n'oublierais ce que tu as fait pour moi, mon ami.»

Soutenant son regard, j'avais simplement hoché la tête. Et alors que j'enfourchai Tempête, je n'avais pas pu m'empêcher d'exiger de ma voix empreint de tristesse:

«Quand tu seras en lieu sûr trouve un moyen pour me prévenir.»

Lennox laissant échapper un petit rire avait répliqué:

«Pour sur que je le ferais! Tu n'en a pas encore finis avec moi Salvor De brym»

Taclant rudement Tempête je m'en étais retourné à Palanques tandis que Lennox quittant quelques heures plus tard les terres esclavagistes de Létreides, se rendait à Lython, son nouveau port d'attache où désormais il poursuivrait comme le têtu qu'il était, sa vocation d'abolitionniste.

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant