Chapitre 22

2.7K 348 19
                                    


Icare ressort de la boulangerie moins de dix minutes plus tard avec un sac en papier plein, qu'il place dans le petit panier devant le guidon.

— La vendeuse m'a parlé d'un lac qui se trouve à environ trois kilomètres. Apparemment c'est super beau et c'est l'endroit parfait pour un pique-nique. Ça te dit qu'on aille voir ça ?

— Oui, pourquoi pas.

Il enfourche le vélo et nous repartons. Il est tellement grand que ce n'est pas pratique de me tenir à ses épaules. Je descends mes mains et m'agrippe au bas de son tee-shirt. La petite route qui mène au lac monte légèrement et je suis terriblement gênée lorsqu'il se met à pédaler en danseuse pour continuer à avancer à une allure régulière. Je lâche donc son tee-shirt et m'accroche sous sa selle. Je l'interroge :

— Tu es sûr de vouloir aller jusqu'à ce lac ? La route a l'air de continuer à monter, ça va être compliqué.

— Oui, je suis sûr, t'inquiète pas, je pédale debout juste pour ne pas perdre de vitesse mais ça va très bien.

Sa voix essoufflée semble indiquer le contraire mais je n'insiste pas. Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant un adorable petit lac de montagne aux eaux cristallines. Le seul bruit perceptible aux alentours est celui des cloches que des vaches en train de brouter ont autour du cou. L'endroit est désert. Des troncs d'arbres morts couchés font office de bancs non loin du troupeau. Icare nous y conduit.

Il commence par détacher mes béquilles du guidon et m'aide à descendre. Il pose le vélo par terre et emporte le sac de provisions. D'un geste théâtral, il m'invite à m'asseoir sur un des troncs :

— Après vous, Mademoiselle !

Je secoue la tête en souriant, et prends place, en tendant ma jambe à l'horizontale sur le tronc. Il s'assoit si près de mon pied blessé, que si je me décalais légèrement, je pourrais le toucher. Nous observons le paysage en silence. L'endroit est vraiment magnifique. Les montagnes avoisinantes ont une faible altitude et sont couvertes d'herbes rases et d'azalées en fleur. Au-dessus d'elles on distingue des reliefs plus hauts aux sommets minéraux çà et là recouverts de neige éternelle. De temps à autre, des poissons font mouche à la surface de l'eau, provoquant des vaguelettes dans le reflet du soleil. Ni Icare ni moi n'éprouvons le besoin de parler pendant plusieurs minutes, comme si nos voix allaient troubler la quiétude du lieu. Je finis par appuyer mes bras tendus sur le tronc derrière moi, pencher la tête en arrière et fermer les yeux pour profiter du soleil. Je sens son regard m'épier.

— Tu vas avoir la trace des lunettes.

Je me redresse brusquement et lui souris. Il a clairement fait cette remarque pour briser le silence, puisqu'il a lui aussi ses lunettes de soleil vissées sur le nez.

— Toi aussi je te signale ! Mais moi c'est ça ou je pleure de toute façon.

— Tu pleures ?

— Oui à cause de la luminosité.

— Ah OK, je croyais que c'était à cause de tes orteils.

Je rigole.

— Non, non t'inquiète pas.

— Tu as faim ?

— Non, ça va.

— Tu veux boire ?

Il a l'air nerveux, et ça me fait sourire encore davantage.

— Non plus, merci.

— Tu vas refuser tout ce que je vais te proposer ?!

Mon sang ne fait qu'on tour, qu'a-t-il réellement l'intention de me proposer ? Cette balade n'était certainement qu'un prétexte mais je pensais que c'était seulement pour passer du temps avec moi. A-t-il autre chose derrière la tête ? Je décide de laisser ma réponse en suspens.

— Je ne sais pas, faut voir...

J'aimerais qu'il n'ait pas ses lunettes de soleil pour voir sa réaction, mais je me contente de ses lèvres qui se soulèvent. Il tourne la tête vers le lac.

— C'est vraiment chouette ici !

— C'est vrai. Bon, alors vas-y, explique-moi, toi qui sais tout ! Comment il s'est formé ce lac ?

Il rougit.

— A vrai dire, ce lac précisément je ne sais pas. Mais souvent, les lacs de montagne sont dus à des surcreusements glaciaires.

— Et ça donne quoi en français ?!

— Ben essaie de deviner toi qui es si forte au Trivial Pursuit !

Nous sourions tous les deux.

— Ça sent la rancœur ! Parce qu'on s'est moqué de ton Grand Méaulnès avec Théo ?

— Peut-être bien oui !

— Quelle susceptibilité ! C'était il y a un an et tu n'as pas oublié ?!

— Toi non plus apparemment !

C'est à mon tour de sentir mes joues chauffer. Mais comme pour me sortir de l'embarras, il me repose sa question.

— Alors, essaie de deviner ce que ça veut dire surcreusement glaciaire.

Je me plie au jeu, toujours le sourire aux lèvres.

— Bon surcreusement, ça doit être une histoire de creux, forcément, et glaciaire, une histoire de glacier. J'ai bon ?

— Tu n'expliques rien là ! Mais tu chauffes, oui.

— Je sais pas, un glacier qui en fondant a laissé de l'eau dans un creux ?

— Gagné ! Enfin quasiment. Mais on va pas rentrer dans les explications détaillées.

Je me vexe quasiment.

— Non, c'est sûr, je suis trop conne pour comprendre.

— Eh ! Aux ! Pas du tout, c'est pas ça, c'est juste que c'est pas intéressant !

J'adore sa façon de prononcer mon surnom et ne peux pas lui en vouloir plus de dix secondes. Il poursuit :

— Mais si tu veux vraiment savoir, je t'explique. En fait...

Je lui coupe la parole en prenant un faux air hautain.

— Non, non, c'est trop tard, n'essaie pas de te racheter, maintenant je ne veux plus savoir.

Il rit.

— Et c'est moi que tu traites de susceptible ?!

Je croise les bras sur ma poitrine et fait semblant de bouder. Il me pince le côté du mollet pour me faire réagir. Je ne peux m'empêcher de lui faire un sourire, qu'il me renvoie. Mon ventre se met alors à méchamment gargouiller.

— Tu vois que tu as faim ! Allez, à table !

Et il se penche pour attraper les sandwiches dans le sac resté à ses pieds. Nous mangeons en discutant de choses et d'autres et passons l'après-midi ainsi, à papoter. Vers dix-sept heures, il me propose que nous rentrions au camping. Même si j'aurais préféré prolonger ce moment, je ne suis pas mécontente de bouger un peu. Lorsque nous arrivons sur place, tout le monde est déjà revenu du chantier. Guillaume vient immédiatement à notre rencontre.

— Vous étiez où ?

Icare lui répond.

— On est allé faire un tour.

— OK... Comment ça va tes orteils ?

— Ça va, je ne sens plus rien, il y a juste l'attelle qui me gêne. Tu sais où est Théo ?

— Oui, il est parti à la douche.

— Merci. Bon, je vous laisse je vais m'allonger un peu en attendant qu'il revienne. Merci pour la balade Icare !

— De rien, c'était avec plaisir.

Je prends le chemin de la tente que je partage avec Théo, tandis que Guillaume et Icare se dirigent vers Hippo et Célian qui sont en train de discuter près du chapiteau des repas.

Je croi(s) qu'en fait je t'aime...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant