Les semaines passent au gré de nos échanges. Chaque samedi, Hippolyte nous sert de facteur, à Icare et moi. Cassettes vidéo et CDs défilent, toujours accompagnés d'un petit mot. Icare semble avoir définitivement changé de goûts musicaux et parvient même à me faire découvrir des groupes intéressants dont je n'avais jamais entendu parler. Je ne peux m'empêcher de me demander s'il écoute désormais la même musique que moi uniquement parce qu'il a finalement accroché à ce type de musique-là, ou si c'est pour se rapprocher de mes goûts et donc de moi.
Quoi qu'il en soit, peut-être est-ce parce que j'ai fait le choix de ne pas entrer dans son jeu lorsque j'ai répondu à son fameux petit mot qui m'avait laissée rêveuse, mais après celui-ci, nos échanges sont devenus plus détachés ; nous nous contentons l'un et l'autre de simples « Voici le groupe Machin, Merci pour le CD ou la cassette de Truc, A bientôt ». Si bien que je me demande si je ne me suis pas enflammée un peu trop vite. Après tout, je ne sais toujours pas qui était la fille qui l'accompagnait au concert, si c'était sa copine, est-ce qu'elle l'est toujours, et dans le cas contraire, est-ce qu'il a trouvé quelqu'un d'autre ? J'ai bêtement cru que je l'intéressais mais je me suis peut-être tout simplement trompée.
J'espère cependant pouvoir être fixée rapidement : pour le week-end de l'Ascension, une sortie de trois jours est organisée par l'association. Nous devons aller prêter main forte à un autre groupe de bénévoles qui consolident une fortification médiévale dans un petit village du Tarn. Sur le tableau des réservations, en face du prénom d'Hippolyte est inscrit le chiffre quatre, et Théo lui a habilement demandé s'il venait avec ses parents et sa sœur, ce à quoi il a répondu par la négative en ajoutant qu'il serait accompagné de Célian, Guillaume et Icare. Théo et moi sommes également inscrits, et le week-end approchant, je suis partagée entre l'impatience de pouvoir passer un peu de temps avec Icare dans les parages, et de l'appréhension.
Nous avons rendez-vous tôt le vendredi matin. Et lorsque Théo et moi arrivons, nous sommes parmi les premiers, Hippo et ses acolytes ne sont toujours pas là. Lorsqu'ils sont déposés par le bus devant le siège de l'association un quart d'heure plus tard, seuls lui, Célian et Guillaume en descendent. Ils se dirigent vers nous et nous saluent. Sachant que je ne poserai pas la question ouvertement, Théo me devance :
— Icare ne devait pas être avec vous ?
Guillaume lui répond en chargeant son sac à l'arrière du minibus.
— Normalement si, mais il m'a dit hier soir qu'il ne venait finalement pas.
Je suis vraiment déçue et j'aimerais connaître la raison de ce changement, mais je ne veux pas tirer les vers du nez à Guillaume car il pourrait se poser des questions. Théo croise mon regard et hausse les épaules en me souriant. Nous montons dans le minibus et Théo me chuchote tout bas :
— C'est l'occasion d'avoir des informations sur Icare, en discutant avec eux trois, l'air de rien. Peut-être qu'ils nous raconteront des anecdotes.
Il termine sa phrase d'un clin d'œil.
Pas bête, après tout, nous ne sommes que peu de jeunes, on nous laissera donc certainement tous ensemble sur le chantier et dans le dortoir, ce sera donc facile d'entamer la conversation. Il suffira juste ensuite d'amener la discussion là où l'on veut. Théo est très doué pour ça.
Dès que nous sommes à destination, nous attaquons les travaux avec le groupe déjà installé. Une partie des pierres de l'épais mur des remparts a été emportée par un orage dévastateur l'été précédent ; nous devons ramasser toutes ces pierres, les trier, éventuellement les retailler grossièrement et ensuite les remettre en place et les sceller pour redonner au mur son allure d'antan. La tâche du ramassage et du tri nous est confiée à tous les cinq sur une portion d'une dizaine de mètres de longueur. C'est la première fois que Célian et Guillaume participent à une telle mission, et Hippolyte est encore novice. A plusieurs reprises, il appelle Théo pour qu'il vérifie leurs tris de pierres, si bien que je me retrouve seule par moments. Guillaume se joint à moi lorsque je demande de l'aide pour déplacer une lourde pierre et nous finissons par travailler tous les deux ensemble.
— Je t'avoue que je suis venu pour faire plaisir à Hippo à la base, et passer du temps avec mes potes, mais en fait je trouve ça plutôt agréable d'être au grand air, surtout que le cadre est tranquille et qu'il fait super beau.
Le site se trouve à mi-hauteur sur une colline exposée plein sud avec une superbe vue sur la plaine environnante.
— C'est sûr qu'ici, c'est top. C'est pas le cas de tous nos chantiers.
J'essaie de diriger la conversation là où je le souhaite et j'ajoute innocemment :
— Vous ne vous voyez pas assez la semaine au lycée ?
— Non, Célian, Archi et Icare sont dans la même classe, Hippo est dans le même lycée qu'eux mais dans une autre filière et moi je suis sur Bayonne. Mes parents ont voulu que je suive l'option sport, du coup la semaine je suis là-bas. Ce week-end, c'était l'occasion qu'on se retrouve un peu tous les quatre.
— Ah ! Je ne le savais pas. Hippo ne parle jamais de vous en fait. Et Archibald et Siméon ?
- Archi n'est quasiment jamais libre le week-end. Ses parents sont séparés et il ne voit son père que le samedi et le dimanche. Et Siméon a déménagé à Paris peu après le voyage en Italie. Son père a été muté alors il n'a pas eu le choix.
— Oh... On peut vous appeler le club des cinq alors désormais !
— Plutôt des quatre et demi ! Je rentre pas tous les week-ends, moi, en fait.
— C'est sûr que Bayonne-Bordeaux, c'est pas à côté.
Tout en discutant, je regarde discrètement Guillaume à travers mes lunettes de soleil. Il ne peut pas voir mes yeux alors j'en profite. Il est vraiment très beau, et ses cheveux décoiffés dans un style étudié lui vont à merveille. Il a la peau légèrement hâlée, les yeux presque noirs et son sourire est à tomber. Il interrompt ma rêverie :
— Oui, le trajet en train est assez long, alors je rentre plutôt pour les vacances, ou les week-ends prolongés. Mais j'aimerais revenir plus souvent parce que même si je me suis fait quelques nouveaux amis sur place, j'ai pas les mêmes délires avec eux qu'avec mes potes ! Et toi, toujours à Jean Moulin ?
— Toujours oui, je ne suis qu'en quatrième, et je n'ai pas l'intention de changer de collège, donc j'y serai aussi à la rentrée prochaine !
— Théobald aussi ?
— Oui, oui, toujours. On ne se quitte pas !
— Vous sortez ensemble ?
Je suis surprise par la spontanéité de sa question. Il l'a posée sans sourciller, tout en continuant de déplacer des pierres. Je ne m'y attendais pas.
— Non, quelle idée !
— Ben je ne sais pas, vous êtes toujours ensemble, uniquement tous les deux, ça paraît logique !
— Parce que nous sommes très proches. On est comme frère et sœur. C'est mon meilleur ami. C'est tout.
— Et t'es célibataire ?
Je manque m'étrangler. Je pensais mener la conversation à ma guise mais je réalise que c'est Guillaume qui la pilote. Je réponds sans réfléchir et lui retourne sa question :
— Euh... oui. Et toi ?
— Moi aussi. J'avais une copine à Bordeaux. Mais c'est pas pratique, à cause de la distance.
— C'est sûr.
Je cherche un moyen de changer de sujet car, pour une raison que j'ignore, il commence presque à me stresser.
— En tout cas je te trouve ravissante.
Je sens mes joues chauffer, heureusement je pourrais faire croire que c'est le soleil qui en est responsable. Je ne sais pas quoi répondre, mais il ne faut pas que je reste muette une seconde de plus, sinon il va percevoir mon malaise.
— Euh... merci.
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Je croi(s) qu'en fait je t'aime...
RomanceAuxane et Icare se rencontrent en 1996 alors qu'ils sont encore jeunes. Rapidement, ils se tournent autour et tous les prétextes sont bons pour multiplier les contacts, jusqu'à ne plus pouvoir se passer l'un de l'autre. Mais les années passent sans...