Je croi(s) qu'en fait je t'aime...

10. Merci Théo !

Les vacances et la semaine de la rentrée filent à toute allure et sans que je m'en aperçoive, nous sommes déjà samedi. Théo ne viendra pas à l'association aujourd'hui, un virus l'a cloué au lit. En temps normal, je n'y serai pas allée non plus, sans lui, mais je meurs d'impatience à l'idée d'avoir des nouvelles d'Icare. Le bus me dépose non loin de l'entrée au moment où Hippolyte arrive à pied.

— Salut, Aux ! T'es toute seule aujourd'hui ?

— Salut, Hippo. Oui, Théo est malade. Mais comme normalement nous devons préparer la prochaine soirée aujourd'hui, je suis venue quand même.

Ce n'est qu'un demi mensonge. En effet, l'association organise deux fois par an des soirées avec repas pour récolter des fonds qui servent ensuite à financer tout le matériel dont nous avons besoin sur les chantiers : pioches, pelles, bêches, seaux, pinceaux, tamis, etc. . Et ce sont les adhérents de l'association qui organisent tout, afin de limiter les frais. Sauf qu'on ne nous demande jamais notre avis, ce sont les adultes qui décident toujours du fonctionnement, je n'ai donc concrètement rien à faire ici.

— M'en parle pas, Cléo a été en boucle sur le sujet toute la semaine alors que le repas est dans quasiment un mois.

— Je compatis !

Je lui souris et nous nous installons côte à côte dans la petite salle qui sert aux réunions des membres de l'association. Comme à chaque fois, nous sommes peu nombreux et les adultes présents souhaitent que le fonctionnement habituel selon le modèle repas-soirée-dansante-jeux, qui a fait ses preuves, soit poursuivi, ce qui est plus simple à organiser, chacun connaissant à l'avance son rôle et le travail à effectuer en amont. Hippolyte et moi ne sommes que spectateurs de leurs discussions et je commence à bâiller. Il se tourne vers moi et me demande :

— Ça te dit qu'on sorte un peu ? S'ils ont besoin, ils sauront où nous trouver de toute façon.

— Ah oui, carrément, parce que je vais finir par sombrer, assise à ne rien faire !

Nous nous levons et nous dirigeons vers l'arrière du bâtiment. La sortie donne sur un module factice de fouilles archéologiques sur lequel le président de notre association accueille des classes et des centres de loisirs pour sensibiliser les plus jeunes au patrimoine. Nous nous asseyons sur les planches qui en limitent le carroyage et farfouillons dans le sable par réflexe.

— Je ne pensais pas que ça serait si long. D'habitude on finit quand même toujours par prendre le minibus pour aller sur le terrain, ne serait-ce qu'une petite heure.

Hippolyte regarde sa montre.

— A mon avis c'est cuit pour aujourd'hui, il est déjà tard.

Je me jette à l'eau, n'y tenant plus.

— A tout hasard, est-ce qu'Icare t'aurait rendu mes cassettes ?

— Oh oui, excuse-moi, tu fais bien d'en parler sinon elles seraient restées dans mon sac. J'ai tout laissé dans la salle de réunions.

— Ça t'embête si on va le récupérer ? Si on ne doit pas partir sur un chantier, je vais en profiter pour rentrer plus tôt et aller tenir compagnie à Théo.

— Non, pas de problème, allons-y tout de suite.

Je le suis. Les adultes ne remarquent même pas que nous entrons dans la salle pour prendre son sac. Il me tend les cassettes et une sorte de pochette rigide assez volumineuse en tissu noir, close par une fermeture éclair. Je le remercie en faisant comme si je savais de quoi il s'agissait et il propose de m'accompagner jusqu'à l'arrêt de bus quand il comprend que je souhaite partir sans plus attendre.

Dès qu'il m'a quittée, je tourne l'objet inconnu dans tous les sens et réalise qu'il s'agit d'un range-CDs. Je ne peux m'empêcher d'en respirer l'odeur. Il sent le neuf. Et une effluve particulière. Celle d'Icare. Mon cerveau me dit qu'il a acheté cette pochette exprès pour nos échanges et cela me fait sourire lorsque que j'en dézippe l'ouverture. Dans la première pochette se trouve l'habituel bout de papier plié. Je l'ouvre et lis, avant même de regarder ce que contient encore le range-CDs :

« Salut ! J'espère que tu as passé de bonnes vacances. Comme promis je te passe Nirvana (merci pour le mouchoir !). Je te passe aussi Will Haven, c'est un truc que j'ai pas put m'empêcher d'acheter quand j'ai lu une critique où ils le comparaient à Deftones. C'est pas mal mais la voix du mec explose un peu les oreilles. Je te remercie beaucoup pour les cassettes et pour me les caler au bon endroit, OK tu vas me dire que ce n'est rien mais bon, ça fait toujours plaisir ! »

Comme d'habitude, mes lèvres s'étirent malgré moi. Une seule faute cette fois, il y a du mieux. Et de nouvelles questions se bousculent dans mon esprit. Il s'est donc mis à lire la presse rock ? Et en plus à acheter des albums ? Il n'écoute donc plus sa techno pourrie ? Pourquoi ? C'est tout de même étrange de changer de goûts musicaux de façon aussi radicale. Deftones semble l'avoir convaincu. Ou peut-être est-ce moi, qui l'ai convaincu ? Ces remerciements me vont droit au cœur, même si techniquement c'est Théobald qui s'en est chargé.

Durant le parcours qui me conduit chez lui, je lis et relis d'innombrables fois le petit mot.